• Captive, de Brillante Mendoza (Philippines-France, 2012)

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Où ?

A l’Orient-Express, dans la micro-salle (39 places)

Quand ?

Vendredi après-midi, à 15h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Captive est un cas d’école de film qui a lui-même sabordé sa diffusion en se croyant en mesure de jouer dans la cour des grands. A tort : malgré la présence au casting d’Isabelle Huppert et un sujet accessible (une prise d’otages sur fond de conflit national entre groupes religieux), Captive reste une œuvre n’arborant aucune récompense glanée dans un festival, venant d’un pays très – trop – exotique en matière de cinéma, et au réalisateur quasi inconnu en dehors des cercles cinéphiles pointus. Une œuvre de niche, en somme. Qui s’est malgré tout aventurée en dehors du réseau d’art et essai pur et dur, avec pour résultat une carrière en salles réduite en cendres – par exemple, programmé au ciné-cité les Halles, Captive n’y est resté qu’une seule semaine, suivie d’une autre pour rien ou presque dans la micro-salle de l’Orient-Express, avant de disparaître du circuit ce mercredi. Le gâchis est réel, car c’est un film qui aurait pu mener une vie moins éphémère et en définitive moins discrète dans un environnement plus opportun.

Pour la première fois (dans ses films distribués en France en tout cas), Brillante Mendoza quitte la capitale Manille pour se rendre à d’autres endroits de son pays. L’ouverture du champ de son cinéma est spectaculaire, puisqu’en se plaçant sans discuter dans les pas des preneurs d’otages le cinéaste nous entraîne sur la mer, dans les petites villes de campagne, et au cœur de la jungle sous toutes ses formes. Cette richesse visuelle nouvelle s’accorde idéalement avec sa mise en scène, dont l’un des principaux atouts est justement l’attention portée au décor doublée d’une remarquable faculté à en faire un élément essentiel, et substantiel, du film. Captive se voit ainsi traversé par une décharge d’énergie constante et considérable, dès ses premières secondes puisque le récit débute à l’instant précis de l’enlèvement des otages. Mendoza nous maintiendra par la suite en permanence avec eux, dans leur condition présente faite d’impuissance et d’ignorance. Aucune permission physique (en compagnie d’autres personnages) ou temporelle – via des flashbacks – ne nous est accordée. Comme les otages, nous ployons sous le fardeau de l’épreuve, son inscription dans la durée, l’extrême oppression tant sur le plan matériel, avec les déplacements incessants vers des lieux inconnus, que moral, puisqu’il n’y a d’autre choix que de se soumettre aux lois abusives des ravisseurs.

Par bien des aspects, Captive prolonge les propositions de Kinatay, film pour lequel Mendoza avait obtenu le prix de la mise en scène à Cannes en 2009 (décerné par un jury présidé par… Isabelle Huppert). On y retrouve la même volonté de détourner un genre pour le rendre plus dérangeant – le polar dans Kinatay, le film d’action ici. Le montage parallèle tout en nervosité de la scène d’ouverture évoque les us et coutumes hollywoodiens, référence vite rendue caduque par le caractère des terroristes, une bande d’expendables grognards et surarmés mais aussi intégristes religieux (c’est tout de suite moins drôle) ; et par le point de vue que Mendoza nous fait partager lors des scènes de fusillades, qui est celui des civils sans défense, paniqués et affaiblis, coincés au milieu des échanges de coups de feu (c’est tout de suite moins excitant). Le réalisateur instaure une ambiance éprouvante à l’extrême, et à ce point sous pression qu’elle explose à plusieurs reprises dans de grandes flambées d’horreur, tel le long siège de l’hôpital. Le soulignement de l’aspect organique des violences faites aux êtres, à même leur chair, relie également Captive à Kinatay (même s’il est plus diffus, constitué par petites touches au lieu de l’unique scène de torture de ce dernier film – pour un résultat plus fort ici) ; de même que l’emploi d’un héros frêle plongé dans un environnement des plus hostiles. Le jeune policier de Kinatay et l’otage française interprétée par Isabelle Huppert (magistralement, comme à son habitude) sont des figures parentes, liées par une même incapacité contrainte à agir comme à réagir, et un même effacement récurrent au profit d’autres personnages du récit qui s’avèrent d’égale importance. Ce sont des humains au milieu de monstres.

Jusqu’à assez loin dans sa progression, j’ai bien cru que Captive allait détrôner Lola comme meilleur film de Mendoza. Ce n’est finalement pas le cas, à cause d’une tare reprise elle aussi de Kinatay. Comme un deux roues perdant son équilibre dès lors qu’il n’est plus lancé à pleine vitesse, Mendoza peine à convaincre quand il met l’action en suspens et s’essaye à l’explication. Toute la dernière partie du film est placée sous ce double signe, avec pour objectif d’étoffer notre connaissance de la situation ainsi que de ceux qui en sont victimes. Captive s’égare dans cette voie démonstrative, dont il ne rapporte que d’hasardeuses simplifications (les gentils chrétiens contre les méchants musulmans) et introspections – la poignée de scènes de conversations, où des otages se dévoilent, sont toutes ratées. L’emballage final, qui reboucle de façon inspirée sur la séquence d’ouverture en usant du même motif de montage parallèle, arrive à point nommé pour refermer cette parenthèse malheureuse. Il permet au film de s’achever sur une note plus conforme à la qualité et à l’énergie démontrées pendant si longtemps, bien qu’un goût d’inachevé reste en bouche.

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