• Lola, de Brillante Mendoza (Philippines, 2009)

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lolam-3Où ?

Au MK2 Odéon

Quand ?

Dimanche matin

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

Par son statut d’unique cinéaste philippin trouvant audience hors des frontières de son pays et traitant de sujets contemporains (l’autre réalisateur philippin distribué internationalement,
Raya Martin, étant sur une autre voie, plus historienne et
expérimentale), Brillante Mendoza se retrouve inévitablement dans la position de celui qui parle au reste du monde des Philippines, qui en expose la situation actuelle. Là n’était pas leur
finalité, mais ses précédents John John et Kinatay évoquaient ainsi respectivement le business de l’adoption, et l’emprise des gangs mafieux sur la vie locale.
Lola fait passer cette orientation sociologique, descriptive au premier plan. Le film ne s’en trouve pas pour autant immobilisé dans une posture univoque, où le message
qu’il est censé porter musellerait tout souffle artistique. Ici comme dans les paraboles à hauteur d’homme de Frank Capra, le maître du genre, les personnages
prévalent sur le sujet. Dans le cas contraire, ce dernier serait imposé d’en haut – par le réalisateur –, en préambule à tout le reste, et transformerait mécaniquement les protagonistes en
automates utiles à la démonstration. La direction prise par Mendoza fait des personnages les porteurs du sujet, qu’ils font émerger à la surface du film action après action, scène après scène.

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Ce n’est donc que dans les dernières encablures de Lola que le cœur du récit se dévoile explicitement. A travers le parcours parallèle de deux vieilles dames (les
lola, diminutif philippin pour grand-mère, du titre), il s’agit pour Mendoza de montrer l’omniprésence de l’argent dans la société philippine, devenue une immense toile capitaliste dans
laquelle toute relation, tout service sont transformés en transactions financières. C’était déjà le cas dans la vie quotidienne de Lola Sepa et Lola Puring, les deux héroïnes ; nous en
sommes témoins sur des choses aussi triviales que récupérer de quoi manger ou prendre les transports en commun. Mais le meurtre qui a eu lieu juste avant que le film ne commence décuple les
obligations de paiements : Lola Sepa, grand-mère de la victime, doit payer les frais pour l’enterrement et toutes les démarches administratives qui vont de pair ; Lola Puring,
grand-mère de l’assassin, doit rassembler la somme nécessaire à un accord à l’amiable qui éviterait à son petit-fils la prison. La brutalité du fonctionnement de la société philippine est telle
que Mendoza n’a nul besoin de développer une intrigue fictionnelle à partir de cet élément. Il lui suffit de se rendre en compagnie des deux grand-mères chez les différents racketteurs avec qui
elles sont sommées de faire affaire. Qu’ils fournissent des prestations publiques ou privées, la tournure prise par les échanges est immuable : donne-moi une forte somme d’argent et
j’accéderai à ta demande.

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Mendoza signe sur cette base un remarquable exercice de cinéma-vérité. Dans chaque bureau, dans chaque entretien, on sent que c’est bien la vérité d’un pays qui nous est exposée, sans filtre ni
mise en scène. En réalité, on n’est finalement pas tant dans la parabole que dans le témoignage le plus cru, à charge contre un système qui nie tout lien humain autre que monétaire – même le
pardon et la justice s’achètent, au prix fort s’entend. Rivé au point de vue de ses héroïnes représentant les faibles, les sans-grades, Lola révèle progressivement
l’ampleur du gouffre qui les sépare des puissants qui édictent et font respecter la loi. Lesquels puissants sont aussi organisés et cyniques que les faibles sont seuls et démunis. Alors que rien
n’est fait par les premiers pour aider les seconds à sortir de leurs difficultés quotidiennes, tout est prévu pour leur permettre de s’acquitter des dettes exceptionnelles qui leur sont imposées
– en s’abaissant à quémander un coup de fil qui débloque une situation, en souscrivant un prêt à un taux usurier et qui les force à placer en hypothèque leurs seuls biens. Le dernier plan du film
(une sortie de prison similaire dans la forme à celle d’Un
prophète
mais cette fois porteuse d’un vrai sens) ne montre plus que ça : la fracture entre les deux faces des Philippines, celle qui possède l’argent et celle qui
doit sans cesse en donner.

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