• Kinatay, de Brillante Mendoza (Philippines, 2009)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, qui confirme son statut d’anomalie parmi les multiplexes en ayant été l’un des deux cinémas de Paris à passer ce film confidentiel et rude (ce fut par exemple le seul
endroit en France où voir le « tranchant » Audition de Takashi Miike)

 

Quand ?

Dimanche il y a huit jours, à 18h

 

Avec qui ?

Seul, dans une petite salle initialement pleine mais qu’une quinzaine de spectateurs ont quittée, principalement après le moment dur du film

 

Et alors ?

 

Kinatay souffle alternativement le chaud et le froid sur son public. La première demi-heure est dans la droite ligne des deux précédents longs-métrages de Brillante Mendoza à
avoir été distribués en France, John John et Serbis, avec une image et une bande-son qui débordent de la vitalité chaotique et ingérable des rues de la capitale
Manille. La technique du réalisateur consiste à filmer de la manière la plus brute qui soit, en caméra portée et sans efforts particuliers pour isoler les comédiens principaux de leur
environnement (c’est au contraire à eux de trouver les moyens d’exister, de s’emparer du récit). Cette manière de faire parvient toujours aussi bien à rendre palpable cette ambiance citadine
extrême, outrancière, où cohabitent un danger diffus mais constant – le fameux péril de toute grande ville – et une certaine candeur originelle, dans l’attitude naïve et insouciante de chacun
dans son travail et ses déambulations de petite fourmi. La scène euphorique du mariage civil du héros Peping et de sa fiancée et mère de son nouveau-né, entourés par leurs proches, et le cours
décousu à l’école de police sont les deux zéniths de cette longue séquence de bonheur radieux et ensoleillé.

Puis la nuit tombe sur Manille, et avec elle arrivent les mauvais génies de la ville, aux activités ténébreuses et cruelles mais néanmoins nécessaires à la survie pécuniaire des habitants. C’est
là la raison principale de l’engagement de Peping dans le gang qu’il rejoint chaque soir après la fin des cours. Cet aspirant-policier le jour et gangster la nuit est de toute évidence un
personnage hautement symbolique ; mais Mendoza prouve qu’il est un réalisateur suffisamment talentueux pour savoir gérer un tel symbolisme, parfois en l’assumant pleinement (le plan du
coucher de soleil, qui marque explicitement la transition entre les deux phases du récit) et parfois en le faisant passer à l’arrière-plan des histoires intimes des protagonistes. La
strip-teaseuse prise pour cible par le gang cette nuit-là est ainsi avant tout un personnage à part entière, grâce à la remarquable scène d’introduction que lui offre le cinéaste. Il suffit d’une
poignée de plans dans la boîte de nuit où elle travaille, et d’à peine plus de dialogues sur sa situation personnelle pour qu’elle existe pleinement à nos yeux – et que son martyre n’en soit que
plus insoutenable.

Mendoza est doué, mais il a encore un défaut majeur : le réalisateur d’actions et d’impulsions qu’il est se trouve à la peine dès qu’il s’essaye à l’introspection (même si on peut lui
accorder une bande-son « mentale » convaincante, à base de bruits et de sonorités discordantes). Jamais sûr d’en avoir fait assez pour convaincre et faire passer son message, il étire
ses scènes plus que de raison avec un résultat contraire à celui visé. On frise l’ennui, et surtout on ne voit pas franchement où il veut en venir quand il nous fait subir presque en temps réel
le trajet en voiture du gang jusqu’à sa planque ou bien quand il filme son héros au petit matin immobile au milieu du trafic, tétanisé par son expérience nocturne de la sauvagerie humaine. Dans
ces deux cas, c’est sans surprise lorsqu’il repasse à l’action que Mendoza se fait comprendre, avec brio. La partie la plus forte et maîtrisée de Kinatay est le carnage perpétué
de sang-froid par les gangsters sur leur otage une fois qu’ils ont – enfin ! – atteint leur planque. La réussite de ces moments d’ultraviolence on ne peut plus délicats à traiter est le
résultat d’une décision forte de cinéaste : ce que Peping voit, le spectateur le voit. Suivie à la lettre, cette règle carrée légitime pleinement l’exposition graphique frontale des pires
actes : viol, meurtre, démembrement.



N’ayant nullement modifié sa manière de filmer l’intrigue au moment d’arriver à ces scènes, Mendoza ne peut être accusé d’avoir pour ambition de choquer à peu de frais. Il ne s’attarde d’ailleurs
jamais sur l’horreur, la montrant sous forme de plans courts plutôt que de scènes longues – suivant en cela le comportement de son héros qui détourne le regard dès qu’il voit un de ces actes
atroces, ou de n’importe quel spectateur de film qui se voile à moitié les yeux quand il pressent l’arrivée d’une scène trop violente. Ce réflexe ne sert le plus souvent à rien : le peu que
l’on a vu, le peu que Peping a vu, suffit à ravager profondément et durablement. Une fois ce bouleversement vécu, la vie de ce dernier ne sera plus jamais la même. La sécheresse du plan solitaire
qui clôt Kinatay est le moyen le plus impressionnant de nous le faire saisir. C’est une simple vue de la femme et du fils de Peping (pour laquelle Mendoza rompt pour la première
et unique fois avec sa règle d’or, le point de vue subjectif de son héros; une décision de mise en scène là encore tout à fait judicieuse), mais qui par l’effet de mise en perspective avec la
demi-heure précédente nous fait exploser au visage cette tranquille innocence de ses proches que Peping ne ressentira plus. Pour lui, le pire est à venir.

 

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