• Cannes, 16 mai : on reprend sans attendre les bonnes habitudes

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Premier jour de festival et déjà un film dans trois sélections différentes ; trois entrées pour trois essais, y compris dans la salle Debussy pourtant plus inviolable qu’une des cités fortifiées de Game of Thrones. Pour ne rien gâcher, deux de ces films étaient de haut niveau, et le troisième, bien que raté, n’en est pas pour autant dénué d’intérêt. C’est par lui que tout a commencé, de bon matin à la Quinzaine des Réalisateurs. Le Congrès y succède à The we and the I de Michel Gondry en tant que film d’ouverture, mais surtout il succède au superbe Valse avec Bachir dans la filmographie de l’israélien Ari Folman. Mon avis, mitigé, sera à lire bientôt sur Accréds

J’ai ensuite tenté, et réussi, le gros coup d’entrer à Un Certain Regard pour y découvrir Fruitvale station, qui tente de marcher dans les traces des Bêtes du Sud sauvage : comme celui-ci l’an dernier, Fruitvale station arrive auréolé du Grand Prix de Sundance, et concourt à Cannes pour la Caméra d’Or puisqu’il s’agit du premier film de l’américain Ryan Coogler. Il y raconte l’histoire malheureusement vraie d’Oscar, tué la nuit du Jour de l’An 2009 par un policier en flagrant délit de bavure. Oscar avait 22 ans (le même âge que Coogler à l’époque), une fiancée, une fille et une vie désordonnée, entre le deal, les passages en prison, et les tentatives de réinsertion. De cette vie on suit les vingt-quatre dernières heures, dont le traitement se trouve à la croisée d’un reportage journalistique et d’un destin tragique de personnage de The Wire. Coogler est assurément de parti pris, engagé aux côtés de ses personnages de galériens pauvres et noirs contre toutes les épreuves qui se dressent sur leur chemin. Il a envie de croire qu’ils pourront s’en sortir par le haut, que leurs efforts seront récompensés. Néanmoins il reste d’une sobriété et d’une retenue remarquables dans la description de leur quotidien. Pas de misérabilisme excusant l’échec, pas de manichéisme érigeant un adversaire diabolique. Même l’émotion, et la prémonition du drame à venir, restent cantonnées dans les marges. Fruitvale station m’a fait penser à Gimme the loot (découvert ici-même il y a un an), en plus avancé dans l’existence et donc moins insouciant. Il fonctionne selon un principe aussi bon que bien exploité, du « good news / bad news » : chaque scène de la journée d’Oscar présente une face lumineuse et une sombre, comme un ressort que l’on tire dans un sens et qui revient toujours vers l’autre côté. L’amplitude des écarts atteint son paroxysme à la nuit tombée, avec un moment de grande joie suivi par le pire des retours de bâton. L’émotion déborde enfin, cependant Coogler affirme son talent jusqu’au bout : le montage de l’engrenage fatal et de ses répercussions ne relâche rien, au contraire il est d’une tétanisante violence née de la crudité de ses ‘cut’.

Un mot sur la dernière étape de la journée, l’italien Salvo qui lance la Semaine de la Critique. Sur des bases bien meilleures que la terne sélection de l’an passé, car le film m’a vraiment impressionné. Par sa mise en scène brillante et radicale (avec un saisissant travail sur la lumière, en clair-obscur quasi-permanent, et sur le son, très agressif ; la combinaison des deux compose un ensemble dérangeant, angoissant), et par son caractère sèchement animal – on n’y dialogue qu’a minima, aucun personnage n’a de plan de vie, tout ce qui importe est de manger, dormir, tuer et survivre… Salvo se lance crânement dans cette voie, qui le pousse à ne raconter presque rien (une rencontre imprévue entre deux êtres opposés, et ce qu’ils décident d’en faire), à n’être quasiment qu’un pur exercice de style. Mais quel style, car les deux réalisateurs, Fabio Grassadonia et Antonio Piazza (dont c’est le premier long-métrage) échafaudent des séquences franchement époustouflantes, sur la corde raide, en huis clos ou dans des étendues désertiques. De sorte que leur film flirte pas mal avec le western et l’horreur, ce qui a fini par me faire faire le rapprochement qui s’impose : Salvo, c’est John Carpenter en Sicile. Et s’il y a bien quelques longueurs, à la réflexion elles se justifient car elles correspondent à des moments de flottement dans le parcours des personnages.

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