• Cannes, 20 mai : Les bêtes du sud sauvage, de Benh Zeitlin

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Dimanche, 14h09 : la frêle machine qu’est Cannes Cinéphiles déraille. Je fais la queue depuis une heure pour réitérer le casse de la veille et m’immiscer dans le Grand Théâtre Lumière, pour la projection du film Amour de Michael Haneke que des amis journalistes l’ayant vu le matin m’ont vendu comme « sublime » et « à voir absolument ». Un vigile s’approche du début de la file d’accès dernière minute, ouvre la barrière et, en même temps, annonce « pas les Cannes Cinéphiles, c’est seulement pour la séance de 16-17h ». Laquelle séance est aujourd’hui à 15h en raison d’un planning tordu… mais si l’arbitraire fonctionnait selon des règles logiques ou raisonnables, cela se saurait. Une heure d’attente pour rien, donc (en plus j’étais idéalement placé, dans les dix premiers de la file), et à partir de là évidemment tout s’enchaîne : mon plan B à La Semaine de la critique (Augustine, à 15h également) échoue avec une séance complète une trentaine de personnes devant moi ; et c’est le moment choisi par le déluge – qui continue à noyer la côte tandis que j’écris ces lignes – pour débuter. Tout baigne.

J’ai du coup passé la fin de la journée dans un autre quartier de Cannes, La Bocca, où se trouvent deux salles dédiées à des séances de rattrapage propres à Cannes Cinéphiles de films des différentes sélections. Tout d’abord, au Studio 13, j’ai vu Au galop (Semaine de la critique), premier long-métrage réalisé par l’acteur français Louis-Do de Lencquesaing. Au galop a tout à fait la fraîcheur d’un premier film, quand bien même son auteur approche de la cinquantaine. Cette qualité est la bienvenue, car c’est essentiellement par elle que le film échappe à un environnement peu bénéfique. Au galop a en effet pour parents un univers ouvertement bourgeois (dans le confort matériel des personnages, les emplois qu’ils occupent dans la société, les problèmes qui sont les leurs) et de ce fait coupé du reste du monde ; et le cinéma d’auteur français « de chambre », intello, verbeux, exhibant sa culture. Le film de De Lencquesaing (qui en tient également le premier rôle) est donc très typé, mais il parvient à s’extraire suffisamment de ce carcan pour devenir appréciable. Pour deux raisons qui s’additionnent : sa joyeuse liberté narrative, qui le voit gambader sans plan préétabli entre ses protagonistes et leurs préoccupations diverses, et la façon très légère qu’a De Lencquesaing de traiter de ces choses au fond graves – un père qui décède, une amante qui a déjà un fiancé et une fille, une mère perdant la tête… Au galop trouve un ton qui lui est propre et qui sait se faire apprécier, un humour en forme de politesse du désespoir (comme l’a dit Vian) et d’antidote aux tours que nous joue la vie.

Plus tard, alors que la pluie redoublait, c’est au théâtre de la Licorne que je suis allé découvrir Les bêtes du sud sauvage, un premier film aussi, de l’américain Benh Zeitlin. J’en avais dit un mot dans mon compte-rendu de vendredi, indiquant que le film avait généré son petit buzz. Lequel est bien peu mérité à mon sens. Certes, Zeitlin n’est pas sans talent esthétique (joli montage énergique pour le pré-générique, belle utilisation de la musique par la suite) et est doté d’une sensibilité à fleur de peau qui peut s’avérer touchante par moments. Mais son long-métrage reste un produit du cinéma indépendant américain totalement dans le moule Sundance. On a affaire à une œuvre adepte de la séduction facile (qui s’apparente parfois à du racolage), qui ne ménage pas ses effets pour forcer l’émotion, et dont le mode d’expression n’est pas à la hauteur de son sujet : apprivoisé quand ce dernier est sauvage, naïf alors qu’il est complexe. Dire que l’on a affaire à un Little Miss Sunshine dans le bayou serait exagéré, mais il y a de cela. Le film ne prend aucun risque réel, ses ficelles sont grosses (le point de vue rêveur d’une enfant sur le monde, et la voix-off qui va avec), le prosélytisme de son ode à l’Intelligent Design est gênant, et sa pseudo-altérité n’est rien d’autre que la conséquence de la logique vorace du modèle Sundance. Pour prospérer celui-ci a besoin de marginalité, mais dès lors qu’il s’en empare il la normalise et la rend impossible à réutiliser. C’est pourquoi il en arrive maintenant aux poches de quart-monde des USA – Winter’s bone, Martha Marcy May Marlene, et le bayou non civilisé de ces Bêtes du sud sauvage. Avec un peu de chance, ce modèle touchera donc bientôt à sa fin et nous en serons alors débarrassés.

Cependant, le plus mauvais film de cette journée reste le premier, l’algérien El taaib (« Le repenti ») en rattrapage lui aussi, de la Quinzaine des réalisateurs. L’histoire est proche de celle d’Ini avan vu hier, sur un terroriste revenant s’intégrer à la société civile. Cela donne dix bonnes minutes, dans la foulée d’un premier plan superbe – un homme seul courant dans l’immensité d’un décor montagneux enneigé. Puis le film devient malhonnête, cherchant à masquer sa misère narrative en éludant toutes les scènes et tous les dialogues qui nous révéleraient trop vite le mince secret sur lequel repose toute son intrigue. De presque rien, ils se retrouve dès lors à ne raconter plus rien du tout. Cet ennui profond devient pourtant secondaire lorsque le film nous impose un twist final à la limite du dégueulasse, qui combine mensonge éhonté – nous étions tout du long sur une fausse piste et sans aucun moyen de nous en douter – et propos moral cruel. Le cinéaste abuse de sa position de force pour tous nous manipuler, son héros comme son public, sans laisser à personne autre que lui l’opportunité de se prononcer.

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