• Z32, de Avi Mograbi (Israël-France, 2008)

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Où ?

Au MK2 Beaubourg, et à la maison en DVD édité par Épicentre Films (sorti le 19 août 2014) et obtenu via Cinetrafic dans le cadre de leur opération « DVDtrafic »

Quand ?

Jeudi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Z32 est l’œuvre de l’électron libre du cinéma israélien, Avi Mograbi, connu pour ses films documentaires farouchement anti-guerre tels que Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon, Pour un seul de mes deux yeux, et dernièrement Dans un jardin je suis entré (chroniqué ici). Il s’y met lui-même en scène, le plus souvent face caméra, une spécificité que l’on retrouve dans Z32 mais de manière modérée. Le héros du récit est ici un jeune (la vingtaine) vétéran de l’armée israélienne, qui a fait son service militaire – obligatoire là-bas – dans les forces spéciales pendant la deuxième Intifada, et qui s’est rendu coupable de crimes de guerre au sein de son régiment. De peur d’être reconnu par des membres des familles de ceux qu’il a tués ou par la justice internationale, ce soldat tient à conserver l’anonymat. Son identité nous restera donc inconnue, et sa voix ainsi que ses traits brouillés par les effets spéciaux. Mais il souhaite tout de même témoigner, pour des raisons qui restent incertaines y compris sûrement pour lui : exorciser ses démons et trouver une toute relative paix intime ? partager ce fardeau avec d’autres personnes ? ou obtenir dans la réaction de celles-ci une hypothétique absolution des péchés commis ?

Le problème est ardu, pour le soldat comme pour les récipiendaires de sa confession que sont sa copine et le réalisateur. Loin de filer droit vers une réponse, libératrice ou fin de non-recevoir, Z32 tourne en rond, piétine, incapable de mettre à distance cette injustifiable vérité dévoilée (aucune scène du film qui ne soit pas obsédée par « ça »), mais aussi de s’en approcher suffisamment pour mieux l’empoigner, la déchiffrer – rappelons-nous que pour y parvenir, un autre Avi (Folman) avait dû en passer par l’artificialité du dessin animé dans Valse avec Bachir. En s’en tenant strictement à des images réelles, Mograbi et son soldat se retrouvent face à un vide immense. La représentation la plus frappante de celui-ci intervient lorsque les deux hommes vont en Cisjordanie sur les lieux d’un des assauts qui hantent le soldat (contre des policiers palestiniens désarmés, choisis au hasard pour des représailles). Nu, désert et impersonnel, l’endroit ne porte aucune trace des événements du passé. Impossible de se raccrocher à quoi que ce soit pour se remémorer, expier ou même se convaincre de la véracité de ses souvenirs.

Reste alors à trouver comment se comporter, dès lors qu’un tel récit de fait divers guerrier a fait irruption dans votre vie. Z32 a l’audace de montrer en direct, avec une spectaculaire honnêteté, deux tentatives individuelles d’y parvenir. Celle de Mograbi passe par l’expression artistique de ses dilemmes et pensées. Vestiges du temps où il a pensé donner à l’histoire une forme opératique, des chansons scandent le récit et explicitent ses questionnements par des paroles contradictoires : « je cache un assassin dans mon film », « cachez son visage pour pouvoir lui parler ». Par ailleurs, Mograbi fait évoluer au fil du film l’apparence du masque recouvrant le visage du soldat, en allant par étapes du plus brut (le classique flou intégral) au plus humain – l’attribution au soldat d’une « nouvelle peau » en images de synthèse, au réalisme tellement étonnant que le cinéaste est obligé de laisser volontairement des erreurs grossières (par exemple une main qui passe sous le « visage ») pour expliciter l’artifice. Le soldat qu’il filme a le droit à un regard, à une expressivité, à un visage même si ce n’est pas le sien, car il est un être humain ; de cela au moins Mograbi est sûr.

L’épreuve de compréhension et de clémence traversée par la copine du soldat est plus rude. Parce que cette dernière est plus impliquée émotionnellement, elle a à sa disposition moins d’échappatoires que Mograbi, ce que le procédé que les deux jeunes ont choisi pour apparaître dans Z32 (une caméra qu’ils déclenchent eux-mêmes et qui les filme chez eux, en l’absence du réalisateur) fait froidement sentir. Cadrages non réfléchis et qui n’offrent pour toute perspective que des murs nus et anonymes, échanges verbaux hésitants, coupes sèches, cette mise en scène non mise en scène rapproche ces sections du film du dispositif de Cloverfield sur la forme, d’aspect amateur, et sur le fond, universel. À New York comme en Israël, en fiction comme dans le documentaire, c’est une même cassette vidéo intimiste enregistrant les terreurs et l’impuissance de notre époque que l’on découvre.

Épicentre films a composé une édition très complète pour ce film qui le mérite bien, et dont toutes les ramifications, avant et après sa réalisation, sont ainsi explorées. La section des suppléments regroupe un court module sur le masque facial en images de synthèse ; une lecture publique par Mograbi (dans le cadre d’une intervention de l’association « Breaking the silence » dont il est membre) du témoignage d’origine du soldat ; la captation d’un mini-concert dans un bar de Tel-Aviv où le cinéaste interprète les chansons du film ; et enfin une rencontre avec le public après projection. Pas n’importe où : à l’École Militaire de Paris, autant dire en territoire ennemi, ce qui accroît l’intérêt de l’exercice. On le découvre malheureusement sous une forme raccourcie par le montage, là où on aurait souhaité voir encore plus de débats contradictoires et de mises en perspective critiques – comme lorsque Mograbi déclare que ce dont il est question dans Z32, bien qu’horrible, n’est rien comparé aux crimes commis par l’armée israélienne lors de l’assaut mené en 2009 (moment du débat) à Gaza. Alors que dirait-il de l’été 2014…

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