• Dans un jardin je suis entré, de Avi Mograbi (Israël-France-Allemagne, 2012)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

À l’Espace Saint-Michel, et à la maison en DVD édité par Épicentre Films (sorti le 3 juin 2014) et obtenu via Cinetrafic dans le cadre de leur opération « DVDtrafic »

Quand ?

Mercredi soir, à 20h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Au début de l’année dernière, deux documentaires sortis presque simultanément, 5 caméras brisées et The gatekeepers, mettaient face-à-face les visions irréconciliables des deux camps impliqués dans le conflit israélo-palestinien. Dans un jardin je suis entré trace une inattendue troisième voie. Ce n’est pas une surprise qu’elle soit le fait du franc-tireur Avi Mograbi, israélien comptant parmi les plus virulentes voix critiques envers la politique belliciste de son pays (voir ses précédents documentaires, de Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon à Z32). Mais c’en est une de découvrir la générosité qui habite cette fois le travail de Mograbi. Son nouveau film a pour point de départ son amitié de trente ans avec Ali Al-Azhari, arabe d’Israël dont la famille a été victime de la Nakba en 1948 – l’expulsion de leurs terres et de leurs maisons par les nouveaux arrivants juifs. Ali et Avi résident aujourd’hui tous les deux à Tel-Aviv, mais leurs vies sont radicalement différentes ; tandis que leurs grands-parents, à Damas, Beyrouth ou Jaffa, étaient membres d’une communauté où le métissage des cultures était la règle et les frontières une abstraction. Bien sûr tout n’était pas rose, avec la présence autoritaire d’une puissance coloniale (nous). Mais comparé au morcèlement haineux du présent, ce passé paraît idyllique, utopique presque. Pourtant, il n’est vieux que de soixante-dix, quatre-vingt ans ; deux générations à peine.

Le grand écart opéré en si peu de temps est vertigineux, et Mograbi fait de ce vertige l’essence de son film. Il l’alimente en ouvrant sa caméra à toutes les propositions, de toutes provenances. Dans un jardin je suis entré est un joyeux squat façon tour de Babel. On y converse en hébreu, arabe, parfois même français ou anglais. Y cohabitent sans manières et sans ordre de primauté le passé, le présent, les rêves comme illustrations des joies, des peines et des combats que donne à vivre la région. Les émouvants souvenirs d’avant-hier – une feuille de calendrier contenant les dates de toutes les religions, une photo montrant un juif syrien des années 30 vêtu à la mode arabe – se joignent aux témoignages d’un aujourd’hui glaçant (l’aire de jeux d’un village israélien, construit à la place d’un autre village palestinien rasé, explicitement interdite aux « étrangers ») et aux visions d’un monde où tout aurait tourné différemment, qui hantent les nuits des uns et des autres. C’est parfois tendre, parfois déchirant, toujours empreint d’une merveilleuse empathie distribuée sans exclusive. Rongé bien malgré lui par les calamités subies par ses ancêtres et dont il est l’héritier contraint, Ali est ainsi probablement une personne difficile à vivre au quotidien ; mais Avi, par la magie du cinéma, le transfigure à l’écran en un personnage passionnant, que l’on quitte à regret. Comme cette fenêtre ouverte sur un Proche-Orient singulier, palpable et pourtant insondable.

Le DVD édité par Épicentre Films prolonge le film par un entretien avec son réalisateur, entrecoupé d’extraits de l’avant-première en sa présence au festival Paris Cinéma à l’été 2013. Avi Mograbi explicite les raisons qui l’ont poussé à réaliser un documentaire à ce point en rupture avec son œuvre militante. Face à un conflit israélo-palestinien « bloqué pour longtemps » (et les événements actuels corroborent malheureusement cette prédiction lugubre), afin d’« échapper à l’impasse de la réalité, du présent » Mograbi a préféré s’embarquer cette fois à bord d’une « capsule de rêve », où « tout est complètement spontané », en compagnie de son ami Ali et de la famille de ce dernier. Son Yellow submarine à lui, en quelque sorte. Aussi doux, dingue et drôle, mais qui repose sur un triste constat d’échec difficile à ignorer complètement : le cinéaste rend – temporairement au moins – les armes, il ne croit plus en la possibilité pour lui de peser sur la situation en son pays.

Découvrez d’autres films sur Cinetrafic dans des catégories aussi diverses et variées que films 2014 ainsi que ici

Laisser un commentaire