• Un diamant brut dans un champ de trèfles : Cloverfield, de Matt Reeves (USA, 2008)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Vendredi soir


Avec qui ?

Mon frère, et une salle remplie par le buzz, turbulente au départ et complètement conquise au final


Et alors ?

Cloverfield est une bombe, à la déflagration d’autant plus puissante et inattendue qu’elle provient d’un « petit » film d’horreur : petit par son budget,
petit par l’anonymat de ses acteurs et créateurs, petit par sa durée (une heure et quart bien tassée). Et c’est pourtant ce petit outsider qui parvient à synthétiser à la perfection les promesses
technologiques d’aujourd’hui et les vieilles recettes éprouvées du genre, tout en étant complètement en phase avec les craintes et les spécificités de notre époque.

clover-3.jpg

Les craintes forment la trame de fond du film. Ce monstre géant, inarrêtable et inqualifiable qui se lance dans une destruction éclair et totale de New York est à ce jour la plus évidente
réappropriation par un cinéaste des attentats du 11 septembre 2001 – et le malaise exprimé par certains avis outre-Atlantique le confirme. Des personnages principaux banals, sans talents
particuliers ni informations précises sur ce qui se passe, une armée impuissante à stopper la menace et des situations post-apocalyptiques (pour n’en citer qu’une, un gratte-ciel à la renverse
littéralement encastré dans un autre) complètent le tableau.

clover-4.jpg

Les spécificités contemporaines dont Cloverfield se nourrit se retrouvent dans son enrobage. En 1er lieu, on ne peut pas ne pas citer la façon dont J.J. Abrams
(les séries Alias, Lost, et
Mission impossible 3), ici producteur, et son équipe ont su tirer le meilleur profit possible du buzz que peuvent générer le Web et une campagne de promo
maline. Teasers dévastateurs, infos distillées au compte-goutte, marketing viral… Cloverfield est un modèle de ce qu’il faut faire – et le film ainsi vendu est
plus qu’à la hauteur, ce qui ne gâche rien. Au sein du long-métrage, c’est bien sûr l’aspect technologique qui inscrit le film dans son époque – les badauds qui se pressent pour filmer la Statue
de la Liberté avec leurs portables – et dirige son déroulement. Cloverfield est censé correspondre exactement à une cassette d’une caméra DV, présentée de manière brute
– pas d’images venant de l’extérieur, pas de montage pour améliorer le rendement de la dite cassette (par exemple, les champs-contrechamps sont présentés dans leur continuité, sans couper les
allées et venues de la caméra entre les personnages). Le vice a été poussé jusqu’à faire survenir intempestivement entre 2 scènes des images du film précédemment enregistré sur la cassette
« contenant » Cloverfield.

clover-1.jpg

Le choix de faire un faux film amateur (motif que l’on retrouvera très prochainement dans Redacted de Brian De Palma) n’est ni un voile masquant une pénurie de moyens, ni un gadget dont le réalisateur ne sait que faire au bout de 20
minutes ; c’est le principe fondateur du film, à la base de sa réussite magistrale sur le terrain purement horrifique, celui des sensations brutes, immédiates et physiques. La structure de
Cloverfield, l’enchaînement et la mise en scène de ses péripéties, tout découle de cette idée de départ : comment être le plus flippant possible en filmant au cœur
de l’action, selon un point de vue unique et incomplet ?

Spielberg avait déjà débroussaillé la voie dans la 1ère heure de La guerre des mondes. Mais il se devait de suivre une histoire, d’étoffer des personnages, de mettre en
valeur une star. La radicalité de son concept permet à Cloverfield de se détourner de ces questions et ainsi renouer avec une efficacité dévastatrice. Loin de gêner,
l’absence de pauses et de développement des protagonistes (de toute façon, ils sont en sursis, alors pourquoi s’attarder sur eux ?) est un puissant accélérateur de rythme, qui fait
s’enchaîner coup sur coup des séquences cauchemardesques reposant toutes sur un décorum impressionnant (Brooklyn Bridge, gratte-ciel, métro – Manhattan est remarquablement remodelée, réinventée),
un enjeu clairement défini et une résolution qui parvient à nous prendre dans chaque cas par surprise alors même que l’on sait que quelque chose de mauvais va se produire. On est sans cesse
bluffé, secoué, et à une cadence tellement élevée que le film donne l’impression de faire 2 fois sa durée.

clover-2.jpg

Une autre preuve de la totale maîtrise de l’équipe de Cloverfield est l’aspect visuel du film. Aux antipodes de l’équation « amateur = sale », ce que l’on a
devant les yeux est une œuvre plastiquement étonnante et envoûtante, où la caméra DV est un outil de scénario, pas de mise en scène. La lumière choisie pour éclairer cette nuit new-yorkaise est
irréelle, faite de couleurs puissantes et de sources lumineuses diffuses qui font bien plus penser à l’univers de Blade runner qu’à une vidéo postée sur YouTube. C’est
une lumière de cauchemar éveillé, à la frontière entre l’impossible et le réel, où la rejoignent des effets spéciaux époustouflants de beauté et d’intelligence. Une fois passée la scène de la
chute de la tête de la Statue de la Liberté (on ne s’en lasse définitivement pas, même après 20 visionnages du teaser) qui lance les hostilités, Cloverfield
résiste à l’appel de la démonstration de force technique pour suivre le sacro-saint principe de tout bon film de monstre : dévoiler par petites touches sa créature démoniaque, dont les
images de synthèse (superbement réalisées et surtout superbement intégrées) sont longtemps cantonnées à de rapides passages en arrière-plan, entre 2 immeubles. Effet garanti !

clover-5.jpg

Cloverfield est donc à n’en pas douter

  • un des moments phares de l’année ciné qui vient de débuter ;
  • une date dans l’histoire du cinéma d’horreur ;
  • l’acte de naissance d’une équipe talentueuse réunie autour de J.J. Abrams depuis plusieurs années (réalisateur, chef op, scénariste et autres ont travaillé sur de nombreux épisodes
    d’Alias, Lost, Felicity…), et qui comptera forcément à partir d’aujourd’hui.

Ah, et pour revenir à La guerre des mondes, si vous n’aviez pas aimé le happy-end artificiel de ce film… vous aurez une raison supplémentaire de vous réjouir devant
Cloverfield.

Une réponse à “Un diamant brut dans un champ de trèfles : Cloverfield, de Matt Reeves (USA, 2008)”

  1. Arthur dit :

    Rien à ajouter… :)