• Savages, de Oliver Stone (USA, 2012)

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Où ?

Au Max Linder Panorama

Quand ?

Mercredi, jour de sortie, à 19h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Soldat engagé dans la guerre du Vietnam, entré à Hollywood par la petite porte des scénaristes (Midnight Express, Conan le Barbare, Scarface, L’année du dragon), volontiers personnel dans certains de ses premiers films en tant que réalisateur (la trilogie sur le Vietnam entamée avec Platoon) : le début de carrière d’Oliver Stone fut atypique. Puis, le succès venant, et l’ego gonflant, l’œuvre du cinéaste s’est figée dans une posture écartelée entre deux pôles opposés. D’un côté se trouvent les nombreux films dossiers, à la solennité contreproductive et à la pachydermie de plus en plus prononcée, depuis Salvador et JFK jusqu’à World trade center et Wall street 2. De l’autre, une poignée de séries B plus inconséquentes dans leurs ambitions, et au bout du compte plus accomplies et légitimes telles U-turn, L’enfer du dimanche. Stone ne sera jamais le tribun politique et redresseur de torts de premier plan tel qu’il le fantasme, la faute au peu de subtilité et à l’excès d’auto-complaisance qui habite ses pamphlets. Mais ces défauts deviennent des qualités dès que lui prend l’envie d’une récréation. Il remise alors au placard ses ambitions nobles et sentencieuses, le temps d’une virée avec une bande de personnages parasites et malfaisants, bêtes et méchants, sauvages comme l’affirme si justement le titre de son dernier film.

Savages s’inscrit sans hésitation dans la veine du cinéma dit d’exploitation. Il pille deux modèles du film de gangsters moderne, Miami vice et Kill Bill, pour faire sa propre sauce. Le premier lui inspire la place prépondérante des équipes de spécialistes, des technologies de pointe et des enjeux géopolitiques, au second il emprunte l’importance des femmes, la voix-off dépassionnée, la mise en scène du désert façon western contemporain. Il n’y a absolument rien de neuf dans ce film, tout y est de la récup’ pour nourrir de la façon la plus profitable l’intrigue, foutraque et boursoufflée comme il se doit car sens de la mesure et crédibilité sont proscrits dans cette branche du métier. Des petits trafiquants de drogue américains éveillent l’appétit d’un gros cartel mexicain, lui-même menacé par un cartel encore plus puissant, sans oublier l’agent du FBI en charge de la surveillance de tout ce petit monde, agent corrompu et qui module ses alliances selon le sens du vent dominant. La mise en branle de la machine est quelque peu laborieuse, car celle-ci concentre tout d’abord son attention sur le trio de jeunes californiens têtes-à-claques, Ben, Chon et Ophelia, sans que l’on soit bien sûr de ses dispositions à leur égard. Ils sont si insupportables, à la manière d’enfants gâtés se flattant d’une supériorité que rien ne vient étayer, que l’on se dit que si le film veut en faire ses champions, bons et triomphateurs, il nous perdra dans l’affaire.

Heureusement, si Savages adopte leur voix, il n’en fait pas de même pour ce qui est du point de vue. Stone les met dans le même panier que les autres crabes, sans traitement de faveur, et les regarde tous s’entredéchirer en laissant libre cours à des instincts de plus en plus barbares. On kidnappe, torture, viole, tue de sang-froid ou à chaud sans ciller, dans une vrille cruelle guidée par l’adage œil pour œil, dent pour dent. L’entropie de l’insanité et de la sauvagerie est au pouvoir, sans que rien ne soit fait pour la brider, et c’est une excellente chose. Elle réduit en poussière tout ce qui relève de la raison ou du discernement, poussant le film dans les bras de la farce, noire, outrancière. A ce petit jeu, les vieux briscards rompus au cabotinage, John Travolta, Benicio Del Toro, Salma Hayek, ridiculisent avec un bonheur mauvais notre petit trio engoncé dans son premier degré fadasse – Blake Lively, Taylor Kitsch, Aaron Johnson. On ne peut que s’en féliciter car ces deux derniers, parachutés respectivement de Battleship et Kick-Ass, auraient sans cela été laissés à leur terrifiant duel en tête-à-tête pour décider lequel est le pire acteur hollywoodien de la nouvelle génération.

Mais puisque Savages, tel une gargouille, est grotesque et l’assume résolument, la médiocrité d’une partie de ses éléments trouve sa place dans le tableau d’ensemble. Car le grotesque n’est pas regardant sur ce qui est réussi ou raté, tout lui convient tant que c’est fait dans l’excès. Une cohérence coupable s’instaure ainsi dans Savages, entre le grotesque misérable des gentils niais endurant une descente aux enfers accélérée, le grotesque vorace des truands prenant leur pied à enchaîner coups tordus et coups en traître, et pour enrober le tout le grotesque flamboyant de la mise en scène. Ça ne loupe jamais : dès qu’une séquence abusive pointe son nez, Stone se réveille de la torpeur dans laquelle le plongent les moments ordinaires, et se lance tête baissée dans des élans d’un lyrisme déviant. Un kidnapping savamment coordonné devient un ballet urbain, une séance de torture menée avec grandiloquence devant public tourne au spectacle retransmis depuis les enfers, le mouvement final est rejoué deux fois afin d’explorer les deux façons extrêmes de conclure, la nihiliste et la cynique… Autant de points d’orgue à ce carnaval primitif qui confirme que Stone n’est jamais autant à son aise, et aussi bon, qu’en compagnie de la frange la moins recommandable de l’humanité, à jouer sans distance au chroniqueur de leur corruption.

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