• Miami Vice, de Michael Mann (USA, 2006 – 500è post !)

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Où ?

A la cinémathèque française, dans la dernière ligne droite de la rétrospective consacrée au cinéaste

 

Quand ?

Fin juillet

 

Avec qui ?

Seul

 

Et alors ?

 

Un écran noir. Puis une explosion soudaine de musique, et l’apparition en silhouette d’une danseuse devant un écran vidéo qui remplit tout l’arrière-plan. Nous sommes au cœur d’une immense boîte
de nuit, où cette séquence inaugurale se poursuit avec un minimum de dialogues triviaux. Comme si elle venait de se réveiller en sursaut d’un évanouissement, prise d’amnésie passagère, la caméra
cherche dans la foule les visages des protagonistes du récit à venir, alors que les morceaux de musique tous plus entraînants les uns que les autres s’enchaînent – avec comme climax un
extrait instrumental du Strict machine de Goldfrapp, sans aucun doute la chanson
la plus diabolique et excitante jamais conçue. Lorsque survient la première poussée d’adrénaline (un enchaînement clé de bras / crochet en plein visage dont le montage visuel est une merveille de
découpage de scène d’action), on se dit que l’intrigue est lancée. Perdu, un coup de fil désespéré et inattendu vient couper les agents dans leur opération et les lance sur une autre piste, qui
sera celle suivie pour le reste du film.

 

D’entrée, le ton est donc donné : Miami Vice sera éblouissant (cette séquence de boîte de nuit rivalise en splendeur formelle avec celle de Collateral), épuisant, explosif, et imprévisible. Dans
l’hypothèse où Michael Mann n’a pas réalisé là le film de flics et de gangsters définitif, il n’est en tout cas pas tombé très loin. Tout ce qui a édifié la légende du genre est là, porté à son
paroxysme par le perfectionnisme et l’engagement total du cinéaste dans son récit. Chez Mann, la démesure visuelle sous toutes ses formes – décors, accessoires, explosions, sophistication des
plans… – n’a pas vocation à épater la galerie ni à se donner une importance proportionnelle au nombre de zéros dans le budget du film, mais à servir de caisse de résonance aux tragédies qui se
jouent dans la vie des personnages. Dans un geste artistique spectaculaire, Michael Mann nous rappelle ainsi que l’intrigue importe peu (ce n’est pas pour rien qu’elle a bifurqué violemment
pendant le prologue), et que ce qui compte est l’énergie avec laquelle elle est vécue. Comme d’autres emploient une intensité interne à ces derniers (dans les drames intimistes, par exemple),
Mann développe dans ce but une incroyable intensité externe.

Son récit se déroule à cheval sur quatre pays de part et d’autre de l’équateur, avec des transits effectués à bord de voitures de sport, d’avions de tourisme, d’hélicoptères, de cargos, de
hors-bords – et le spectateur est toujours placé à l’intérieur de tous ces véhicules, collé au point de vue des personnages pour des plans vertigineux et étourdissants. Les conditions climatiques
sont partie intégrante du film grâce au format de tournage numérique haute définition, à nouveau de la partie après l’expérience concluante de Collateral. Les tempêtes tropicales
tonnent et lézardent le ciel de leurs éclairs, le vent et les vagues fouettent le visage, le voile des lumières urbaines illumine la nuit, donnant à celle-ci une teinte presque plus orangée que
noire. La bande-son est elle aussi mise à contribution, avec une sélection musicale éclectique qui frise la perfection dans son adéquation avec ce que la caméra capte. Les instrumentaux ténébreux
de Mogwai accentuent la tension permanente qui règne sur les opérations d’infiltration se déroulant à Miami, tandis que de l’autre côté de la mer des Caraïbes les rythmes dansants et chaleureux
de salsa (Arranca de Manzanita, Pennies in my pocket d’Emilio Estefan) accompagnent la fugue inopinée et tout simplement joyeuse du film vers Cuba, dans le sillage de la passion
amoureuse impossible et caliente entre le flic Colin Farrell et la criminelle Gong Li. Et pour les trajets entre l’un et l’autre de ces deux mondes antinomiques, Mann a trouvé l’accord
suprême : One of these mornings, de Moby, apposé sur le panoramique vertical en plan large d’un hors-bord filant vers un horizon affranchi de tout obstacle. On ne peut faire plus
beau.




En plus d’être un avatar supplémentaire de la propension du scénario de Miami Vice à s’embarquer dans les chemins de traverse les plus imprévisibles, la romance du couple Farrell
– Li introduit un chamboulement notable dans l’œuvre du réalisateur. C’est en effet la première fois – et ce n’était pourtant pas faute d’essayer – que celui-ci parvient à écrire des personnages
féminins consistants et accrocheurs, qui ne soient pas relégués au statut de faire-valoir de leurs mâles compagnons. Par ricochet, les relations de couple (celui entre le collègue de Farrell,
joué par Jamie Foxx, et Naomie Harris est également réussi, même si d’importance plus secondaire) prennent elles aussi une portée nouvelle. Mann ne fait pas les choses à moitié, puisque son
premier traitement sentimental convaincant prend forme dans une déclinaison peu banale, à Hollywood en tout cas : des relations amoureuses entre personnes adultes, pragmatiques, conscientes que
pour elles le grand amour arrive trop tard pour être en mesure de bouleverser en profondeur la réalité de leurs vies. Il leur faut dès lors arbitrer constamment entre le cœur et la raison, en
évitant de sacrifier pour de bon – ou en se refusant à le faire – l’un des deux. Le thème n’est assurément pas nouveau mais, comme je le disais en début de chronique, l’important n’est pas tant
le sujet que la manière dont il est incarné. Et dans Miami Vice, il est indéniable que l’intensité mise par toutes et tous à habiter cette histoire faite de trahisons et
d’instincts de survie balaye les doutes jusqu’au dernier.

Pour la deuxième fois d’affilée après Collateral, un film de Michael Mann vendu sur ses seules qualités plastiques nous prend ainsi complètement à revers, en faisant étalage d’une
profondeur (là psychologique, ici émotionnelle) saisissante. Le maelström d’affects dans lequel protagonistes et spectateurs sont pris est d’autant plus renversant qu’il est, comme la mer sur
laquelle filait le hors-bord, en apparence éternel. L’inattendu dernier plan vient en effet suspendre le film plus qu’il ne le conclut, rien n’étant réglé de manière définitive en surface – le
trafic de drogue – aussi bien que derrière le voile – les sentiments indélébiles.

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