• Inside Llewyn Davis, de Joel & Ethan Coen (USA, 2013)

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Où ?

Au ciné-cité Bercy, en avant-première agrémentée d’un petit coucou des réalisateurs et de l’acteur Oscar Isaac

Quand ?

Mercredi soir, mi-octobre

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Depuis qu’ils ont repris de façon sérieuse le fil de leur carrière avec No country for old men, les Coen alternent récréations presque frivoles (Burn after reading, True grit) et réalisations marquées du sceau de la gravité, pour ne pas dire de la dépression – No country…, A serious man, aujourd’hui Inside Llewyn Davis. Ces dernières montrent les deux frères se détacher du film noir, si essentiel dans leurs films du vingtième siècle dont il était à la fois l’assise sur laquelle se fondait l’intrigue, et le vernis qui maquillait les déboires des personnages en quelque chose de moins dur à supporter pour nous. Dorénavant il n’y a plus d’artifice, et les Coen nous font marcher main dans la main avec leur héros, décliné selon un même modèle à chaque film. Un homme au bout du rouleau, que l’on accompagne dans la dernière ligne droite de son parcours alors qu’il a épuisé toutes ses ressources. Dans cette balade à travers l’Amérique des losers malgré eux, New York succède au Texas et au Minnesota comme décor, et Oscar Isaac à Josh Brolin (dont le personnage s’appelait Llewelyn, comme un faux jumeau de Llewyn Davis) et Michael Stuhlbarg comme figure.

Le choix de New York, le refus du film de genre pour se concentrer exclusivement sur les personnages, la tonalité fataliste et angoissée, sont autant d’éléments qui concourent à donner à Inside Llewyn Davis un caractère très allenien. Des films en particulier viennent même à l’esprit pendant que se déroule le récit : Zelig lors du clin d’œil à Bob Dylan (Inside Llewyn Davis prend place en 1961 là où bat le cœur du mouvement folk, à Greenwich Village), et puis le dernier Woody Allen en date, Blue Jasmine. Lequel ne se déroule pas à Manhattan, mais a en commun avec le dernier Coen une tendance dommageable à l’acharnement envers son rôle-titre. Celui de Joel et Ethan envers Llewyn est légèrement moins grave car, contrairement à ce que fait Allen, eux se montrent constants dans cette voie du début à la fin du film – ils n’ajoutent pas la surprise à la dureté. Ce qui est préjudiciable à Inside Llewyn Davis est l’accentuation du geste dans la seconde moitié du récit, quand dans le même temps celui-ci se met à faire du surplace. La balance proche de l’équilibre idéal de la première heure penche alors dans le mauvais sens, le film ne faisant plus grand-chose d’autre qu’enfoncer le clou des malheurs de son antihéros, tous déjà éprouvés auparavant sous une forme plus aboutie.

Pour le dire en une phrase : c’est le scénario qui fait de manière unilatérale souffrir Llewyn professionnellement, sentimentalement et moralement au cours de la deuxième partie, après avoir tout d’abord laissé ce « soin » aux autres personnages, ce qui donnait autrement plus de finesse et d’émotion. Ce n’est pas un hasard si les alléchants seconds rôles à l’affiche du film occupent surtout ce premier acte : le couple Carey Mulligan – Justin Timberlake, John Goodman dont le passage motorisé correspond au dernier grand moment d’Inside Llewyn Davis. Goodman trouve une fois de plus à se réinventer devant la caméra des Coen, qui tirent le meilleur du potentiel de Mulligan et Timberlake comme de l’inattendu Oscar Isaac, abonné aux petits (voire tout petits : son personnage n’avait même pas de nom dans Jason Bourne : l’héritage) rôles alimentaires et soudain propulsé sur le devant de la scène. Ce beau trio tout juste trentenaire – 33 pour Isaac, 32 pour Timberlake et 28 pour Mulligan – est l’une des deux franches réussites du film, avec sa splendeur plastique. Car si auditivement c’est une autre histoire, chaque spectateur devant se débrouiller avec ses affinités avec la folk (très faibles dans mon cas), visuellement parlant Inside Llewyn Davis est un incontestable régal.

Non seulement le film est beau, drapé dans la merveilleuse lumière signée Bruno Delbonnel, mais en plus cette beauté est le véhicule raffiné et puissant d’un propos parfaitement maîtrisé. À l’oral (les conversations) et l’écrit (les aléas de l’histoire), les Coen joignent l’aspect visuel comme moyen de renvoyer sans cesse Llewyn à son statut de misfit. Tous les lieux qu’il traverse lui sont hostiles, et s’affichent crûment comme tels à notre regard, transformant à cet égard Inside Llewyn Davis en un conte de fées moderne. Les routes sont battues par des tempêtes de neige, les bureaux sont trop vastes ou trop oppressants, les logements des autres où Llewyn squatte une poignée de nuits le rejettent – portes qui claquent, contrainte d’entrer par l’escalier de service, couloirs exigus jusqu’à l’absurde, occupants et invités à la lisière de la caricature de leur groupe social. Rien n’est jamais aux bonnes dimensions, ni avec le bon climat. Les Coen réussissent à mettre ce décalage au premier plan des images, sans pour autant déprécier l’une ou l’autre des forces en présence. Même tordu le monde reste réaliste, même accablé Llewyn Davis est un de nos semblables. Ce n’est là ni le premier, ni assurément le dernier des tours de force des deux frères réalisateurs.

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