• A serious man, de Joel et Ethan Coen (USA, 2009)

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seriousman-2Où ?

Au ciné-cité les Halles, dans une salle moyennement grande et absolument pleine

Quand ?

Lundi soir

Avec qui ?

MaFemme et une amie cinéphile

Et alors ?

 

Le film le moins médiatisé des Coen depuis une éternité (au moins Le grand saut, voire le duo Millers’ crossing / Barton Fink) est possiblement la clé de toute leur œuvre. Pour la première fois, les
frangins tombent leur masque de carnaval au sourire narquois et au regard acéré porté sur l’humanité, et acceptent d’afficher une véritable empathie envers une de leurs créatures. Envers deux,
même – le héros Larry et son frère Arthur. A serious man est la chronique des quelques jours où la vie de Larry prend l’eau de toutes parts. Sa femme demande le divorce, sa
titularisation à l’université où il travaille est soudain menacée, ses enfants n’ont pour lui ni respect ni sympathie, et tous les inconnus dont il croise la route semblent partager le même
objectif de le harceler jusqu’à ce que folie s’en suive.

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En plus d’être le plus empathique, A serious man est le plus naturaliste des longs-métrages des Coen. Larry n’a en effet rien de spécial. Il n’est pas tueur à gages comme dans
Miller’s crossing ou Fargo,
cible d’un tueur à gages comme dans No country for old
men
, dramaturge comme Barton Fink. Il n’est même pas crétin comme les personnages de Burn after reading, ou grande gueule marginale comme The Big Lebowski. Il aspire juste à
une existence simple, honnête, selon un schéma simple – un emploi, une famille, une maison dans un quartier pavillonnaire – et honnête ; car Larry est un être profondément droit, qui fait de
son mieux pour vivre selon les préceptes et les traditions de sa religion juive. L’enchaînement délirant de calamités qui s’abat sur lui, et en parallèle l’absence d’explications ou même
simplement de signes de la part de Dieu ou de ses plus proches disciples que sont les rabbins, fait de A serious man le porteur du message suivant de la part des Coen : s’il
existe – et il en existe – des individus aussi persécutés par le sort que Larry, sans qu’il n’y ait de raison ni d’échappatoire à cette situation, alors nous préférons volontiers
« gâcher » notre temps et notre talent à railler férocement et, oui, gratuitement, les travers et la bêtise des gens méchants et bêtes. Ça ne résout rien, mais ça défoule.

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Depuis tout ce temps, les frères Coen ne seraient donc pas de sales petits morveux effrontés mais de grands sensibles, qui ne filment pas d’histoires tristes non pas parce qu’ils ne le peuvent
pas mais parce qu’ils ne le veulent pas. Triste, A serious man l’est tellement à force de malheurs que dans sa seconde moitié, on n’a même plus le cœur à réagir à certaines
blagues pourtant brillantes (qu’on se rassure, d’autres déclenchent toujours de violents fous rires). Par rapport à tous les autres personnages imaginés par les cinéastes, Larry est comme l’homme
qui, dans le mythe de la caverne de Platon, se retourne et prend conscience de sa misère. Ce qui n’a pour effet que de le rendre plus malheureux – d’autant plus que les Coen lui ont attaché un
être encore plus à plaindre que lui (Arthur) et que Larry, incurablement bon, ne peut en conséquence que plaindre. La relation entre les deux frères est remarquablement pensée : très
différents physiquement, ils sont par contre en osmose dans les traits de caractère qui les définissent le mieux (même passion pour les mathématiques, même tempérament réservé, même crainte à
l’égard de Dieu). Arthur est simplement une version plus marginale de Larry, et en cela moins armée pour résister aux aléas et aux animosités.

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Sans nier cette angoisse, mieux vaut en rire qu’en pleurer nous disent tout de même les Coen. Qui nous guident en ce sens via leurs gags de première classe (les discussions des ados à bord du bus
scolaire, très Beaux gosses ; le dialogue
de sourds entre Larry et le vendeur de disques) et leur galerie de seconds rôles impayables (l’épouse de Larry, son voisin chasseur, la famille coréenne). Mais au cœur du film, l’intériorisation
par Larry de sa souffrance – jamais il ne se retournera contre ses semblables, une fuite en avant toujours empruntée par les autres personnages des Coen – rend l’humour moins caustique que
désemparé, et le ton du film moins cynique que métaphysique. Les cinéastes s’impliquent, et par ricochet nous impliquent dans ce face-à-face avec le néant (et vu les questions qu’ils ont dans la
tête, on comprend volontiers qu’ils préfèrent d’ordinaire ne pas y regarder de trop près). Ce sérieux de circonstance ne les empêche pas de placer encore ici et là des spécimens isolés de
virtuosité gratuite voire superflue (les cartons annonçant les entrevues avec les rabbins) ; mais dans la quasi-totalité des cas, il y a une raison de fond à ces fioritures. Par exemple, les
scènes de rêves de Larry, au demeurant excellentes en soi, reproduisent en apparence seulement un motif scénaristique usé jusqu’à la moelle. La rupture marquée par chacune de ces scènes avec
l’existence de Larry, routinière et étouffée par les circonstances extérieures, renforce le caractère tragique de celle-ci : toutes les choses différentes, aventureuses, périlleuses qui
nourrissent ces songes ne se produiront pas dans la réalité. Jamais.

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Ou peut-être que si ; le fait nouveau sur lequel se conclut abruptement A serious man est de nature à tout bouleverser, ou bien à entériner les dérives des uns et des autres.
C’est là la dernière pirouette d’un récit qui, en plus d’être aussi cryptique que les merveilles des Coen dans ce domaine, est résolument ambigu. Nous nous retrouvons cette fois à nous poser les
mêmes questions insolubles que les protagonistes. Chacune des nombreuses pièces non expliquées du puzzle est une énigme, ouverte à plusieurs interprétations disparates. Il en va ainsi du prologue
(comment le relier au reste du film ?), du comportement du nouvel amant de la femme de Larry (homme véritablement parfait ou fraude ?), de la justesse et des conséquences des décisions
de Larry durant l’épilogue, de ce que peut (ou ne peut pas) apporter la religion à l’homme. Et de mille autres choses relevant plus du détail, mais participant à la confusion générale initiée
d’entrée par le montage alterné entre Larry et son fils qui, en ne révélant que tardivement la nature de la relation entre eux, laisse envisager qu’ils pourraient être la même personne, vue d’un
côté en flashback et de l’autre au présent. Comme chez les Monty Python (cf. ci-dessous), le sens de la vie semble bien compliqué à dénicher au milieu de tout ça.

[Mon interprétation personnelle de A serious man : qu’il faut savoir écouter et apprécier les chansons de Jefferson Airplane].

 

 

2 réponses à “A serious man, de Joel et Ethan Coen (USA, 2009)”

  1. la cinéphile masquée dit :

    La sensation en voyant ce film qu’on ne nous donne qu’une version, qu’on garde un mystère sur le pourquoi des choses. Un vrai film d’auteur avec ses parts d’ombre et ses obsessions. et un acteur
    principal vraiment emballant, ce qui ne fait pas un film mais qui ne gâche rien!
    (Super article par ailleurs)

  2. <a href="http://cine-partout-tout dit :

    Effectivement, je n’ai pas parlé de l’acteur principal Michael Stuhlbarg que l’on a jusqu’à présent très (trop) peu vu au cinéma, et un (tout) petit peu plus à la télé (dont bientôt dans la
    terriblement attendue « Boardwalk Empire », au pilote réalisé par Martin Scorsese)