• Cannes, 17 mai : trois à la Quinzaine (et une fille jeune et jolie)

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Journée intégralement consacrée à ma favorite la Quinzaine des Réalisateurs, avant une infidélité en début de soirée pour un rattrapage de la Sélection Officielle.

Ainsi à la même heure qu’hier (9h), au même endroit (le Théâtre Marriott), j’ai vécu une même déception que pour Le Congrès avec Le géant égoïste. Dans les deux cas le film est loin d’être entièrement mauvais, mais il n’est pas suffisamment habile non plus. Malgré les louables efforts de sa réalisatrice Clio Barnard, Le géant égoïste reste trop engoncé dans le genre très balisé, et pas mal usé aussi, dont il relève : le drame de la misère sociale anglaise, où le capitalisme sauvage post-Thatcher fait office d’ogre dévorant les faibles. Qu’ils soient d’origine documentaire ou fictionnelle, prenant place en milieu urbain ou rural (comme c’est le cas ici), ce sont à chaque fois des récits sans faille et qu’il importe assurément de conter. Mais d’un point de vue cinématographique, cette variété de films est comme toutes les autres – on attend de la part des derniers arrivants un certain renouvellement, pour se distinguer de ce que les précurseurs ont gravé dans nos esprits. Parfois Le géant égoïste semble en mesure d’y parvenir, lorsqu’il prend la tangente avec ses deux héros jeunes et ayant cependant déjà tout compris à la mauvaise place qui sera pour toujours la leur dans le monde. Virés de l’école, ils intègrent un autre monde, presque une société secrète tant elle est invisible aux yeux des gens « normaux » : les ferrailleurs et leurs décharges semi-sauvages, leurs anachroniques carrioles à cheval, leurs régiments de mômes affectés aux tâches ingrates. La description sans affects du quotidien de cet écosystème distinct, de l’énergie acharnée que tous déploient pour le maintenir à flot, donne au film un élan réel. Qui se brise malheureusement sur un dernier acte convenu, trop écrit, où le malheur réfléchi et infligé aux personnages remplace l’accompagnement équitable de leur lutte.

Juste après, Un voyageur m’a plus emporté bien que ses ambitions soient plus limitées. Ce documentaire de Marcel Ophüls, le premier pour le cinéma depuis bientôt vingt ans (Veillées d’armes en 1994), n’aspire pas à la majesté et à la gravité de ses grandes œuvres que furent Le chagrin et la pitié, L’empreinte de la justice ou Hôtel Terminus. Ophüls revêt avec gourmandise le costume de papy régalant son auditoire d’anecdotes au coin du feu, et l’on se délecte à notre tour de les entendre. C’est le récit d’une vie entière, donc de deux vies puisque tant que Marcel était jeune, c’est son père le grand cinéaste Max Ophüls qui dirigeait son existence. Le fil d’Ariane des souvenirs de Marcel nous fait suivre Max dans sa carrière et ses exils forcés (d’Allemagne en France puis en Suisse et aux USA), puis les deux figures cohabitent un temps à égalité dans les années 50, avant que la mort du père ne laisse le fils seul en scène. Deux choses font de ce Voyageur un vrai plaisir : pour commencer Ophüls s’avère un remarquable conteur d’histoires, par sa gouaille, son détachement et son sens de la chute. Et puis, il est un cinéaste doublé d’un cinéphile, ce qui signifie que toutes ses anecdotes soit concernent des films, soit se nourrissent d’extraits de classiques comme illustrations de choix. Un parfait film récré de festival.

La clôture de ce triptyque s’est faite avec le meilleur des trois films, un coup de poing doublé d’un coup de cœur : Ugly, qui voit revenir à la Quinzaine l’indien Anurag Kashyap un an seulement après la saga de 5h30 Gangs of Wasseypur. Ugly confirme superbement cette précédente réussite, dans une veine très différente. Mon avis, secoué, sera à lire bientôt sur Accréds

En fin de journée, je me suis rendu à la salle de la Licorne à l’écart du centre-ville pour y rattraper le premier film présenté en compétition officielle : Jeune et jolie de François Ozon, dont les échos en provenance du Palais des Festivals étaient très attirants. Ozon n’arrête jamais de tourner – quatorze films en quinze ans, son précédent est sorti en octobre dernier (le divertissant Dans la maison). Jeune et jolie grossit les rangs des sommets de cette carrière menée à marche forcée, pour une raison toujours identique : le sexe y est laissé comme seul thème souverain au centre du film, sans être détenu dans un contexte ou transformé en instrument au service d’un autre motif. Jeune et jolie rejoint ainsi les beaux et libres Sitcom, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, Swimming pool. À ces travaux de jeunesse (tous menés avant ses 33 ans), Ozon ajoute ici une maturité formelle totale, qui éclate à tous les étages, de la composition des plans à la conduite du récit. C’est superbe, mais je serai obligé de poursuivre – essentiellement sur le magnifique personnage central d’Isabelle, seule à l’aise avec sa sexualité dans un monde d’adultes et d’ados tous complexés, d’où la difficulté pour elle à trouver sa place – demain car la fatigue me rattrape.

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