• Au revoir, de Mohammad Rasoulof (Iran, 2011)

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Où ?

Au Reflet Médicis, dans le cadre de la reprise de la sélection Un Certain Regard du festival de Cannes

Quand ?

Dimanche soir, à 20h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Les réalisateurs iraniens étant en première ligne des professions harcelées et muselées dans leur pays, il n’est pas surprenant que leur œuvre commune de ces dernières années soit pleinement consacrée à cette réalité. Escamoter à l’écran le fait que leurs films ont été tournés dans la clandestinité et l’appréhension relèverait de la prestidigitation. La valeur cinématographique de telles œuvres dépend dès lors de la faculté du metteur en scène à métamorphoser la réalité indélébile du hors champ en une fiction de qualité dans le champ de la caméra ; d’autant plus que d’un récit à l’autre la fin tragique est toujours la même, et les épreuves surmontées auparavant avec l’énergie du désespoir par les personnages sont elles aussi souvent similaires. (Ce qui n’enlève rien à l’absolue légitimité de leur exposition). Pour citer deux exemples opposés récents, The hunter reste au stade du cri d’exaspération malhabile, et Les chats persans parvient à faire œuvre artistique et ainsi à nous toucher plus fortement.

Au revoir, récit des préparatifs de l’exil définitif d’une jeune femme avocate, entre dans la catégorie des réussites. Grâce à son actrice, Leyla Zareh, présente dans tous les plans (sauf, symboliquement, le dernier) et formidable d’intensité et de devoir d’un bout à l’autre. Grâce aussi aux velléités fortes de cinéma de l’auteur et réalisateur Mohammad Rasoulof. Il ne se contente pas d’afficher telle quelle sa lassitude face à l’état de délabrement humain de son pays, opprimé de l’extérieur par l’omnisurveillance policière et sclérosé de l’intérieur par la corruption et les transactions clandestines. Avant de nous le présenter il a sculpté ce sentiment, afin de lui donner une allure de fiction plus inspirée et féconde. Au revoir devient ainsi un film aux multiples facettes. Le chaos urbain permanent qui semble régner à Téhéran et l’insanité bureaucratique qui transforme chaque démarche officielle en un parcours du combattant sont traités sous la forme de vignettes à la Jacques Tati, où l’acceptation de l’absurdité des évènements prend le pas sur le reste. Quand une situation devient trop grave pour laisser de la place au rire, c’est-à-dire essentiellement quand la police entre en scène, Rasoulof change son fusil d’épaule. Il bascule dans une mise en scène de thriller, où l’emploi de plans-séquence génère un suspense paralysant.

Au revoir est également notable pour son refus de donner dans l’étude de cas édifiante, façon communiqué d’ONG. La personnalité de l’héroïne ne nous est pas livrée d’un seul bloc en préambule, mais révélée par bribes, de manière réaliste au fur et à mesure de ses interactions avec d’autres personnes. Sa complexité et son mystère sont ainsi préservés, faisant d’elle un individu plutôt qu’un spécimen de victime expiatoire. Ce qui est bon pour l’intérêt de l’intrigue, qui donne – à raison – le sentiment d’avoir toujours un petit quelque chose en plus à nous donner ; mais est aussi bon pour la force de condamnation du film à l’encontre du régime en place en Iran. C’est l’action insidieuse de ce dernier qui conduit au morcellement de l’identité de l’héroïne et à l’effacement – sauf au prix d’une lutte désespérée – de certains de ses traits. Ce genre de politique de coercition et d’épuisement latente, à l’usure, est l’arme la plus terrible qu’une dictature peut infliger à son peuple. Le cinéma, car il s’inscrit dans le même temps long, est à même de l’exhiber aux yeux de tous. Rasoulof fait bon usage de ce moyen de résistance.

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