• Les chats persans, de Bahman Ghobadi (Iran, 2009)

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persans-1Où ?

Au ciné-cité les Halles

 

Quand ?

Mercredi soir, à 20h30, quasiment à la descente du train nous ramenant de notre premier Noël de l’année

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?

 

Si proche, si loin. Telle est l’image de l’Iran que nous renvoient tour à tour les œuvres du cinéma underground local, aussi interdit de réalisation et de diffusion là-bas qu’il est
suivi et acclamé dans les pays occidentaux – à l’instar de plusieurs de ses prédécesseurs, Les chats persans a été montré dans un grand festival (Cannes, dans la sélection
parallèle Un Certain Regard). Cette répression intolérante du désir artistique et de sa concrétisation imprègne inévitablement le sujet des Chats persans comme c’est le cas dans
les films d’un autre cinéaste iranien interdit, Jafar Panahi. Le dernier long-métrage en date de celui-ci, Hors-jeu, usait du football comme métaphore de la privation de liberté
au quotidien ; dans Les chats persans, c’est la constitution d’un groupe de rock en vue d’une possible tournée à l’étranger qui sert de prétexte à Ghobadi.

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Le terme de prétexte est tout à fait pertinent, tant le film se détache fréquemment du fil de son récit pour aller à la rencontre de groupes de la scène musicale réelle de Téhéran et écouter
in extenso un morceau de chacun. Ghobadi est malheureusement moins bon clippeur que metteur en scène de cinéma et les collages d’images qu’il sert en accompagnement de ces chansons sont
d’un piètre intérêt, du niveau de la bouillie indistincte présentée en continu par les chaînes du câble. Mais la simple présence de cette musique (d’aussi bonne facture que le haut du panier de
« notre » production dans les différents genres – pop, metal, rap…) et de ceux qui la font suffit à créer un intérêt, mieux : un élan. Ghobadi aime de toute évidence ces jeunes hommes
et jeunes femmes qu’il nous fait découvrir, avec la même ferveur qu’un journaliste des Inrockuptibles ou de NME aime les groupes cités par dizaines semaine après semaine dans son magazine. La
référence à ces jalons de la culture rock occidentale n’est pas innocente : les portraits que Ghobadi esquisse de ses « protégés » en quelques plans et dialogues ont un fort air de
famille avec les articles équivalents écrits et lus en Europe ou aux USA. Les rockeurs iraniens ont plus ou moins le même matériel (amplis, batteries, synthés, logiciels de mixage…), le même
look, les mêmes inspirations et aspirations. Même la ville dans laquelle ils vivent n’est pas si différente, par son gigantisme et son effervescence, de Londres ou de Paris. Seule leur exposition
diffère, puisqu’eux doivent se cacher au plus profond des sous-sols ou au plus près des toits – voire dans d’autres endroits encore plus improbables – pour répéter et enregistrer.

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L’insistance que met Ghobadi à filmer pour chaque groupe le trajet qui mène jusqu’à lui est ainsi peut-être l’élément le plus important des Chats persans, car elle souligne
impeccablement la marginalisation de cette partie de la société. Le cinéaste fait corps avec son sujet d’une façon tellement évidente qu’il n’a nullement besoin de recourir aux gros sabots
habituels des œuvres estampillées « non à la dictature » pour faire passer son message. La chape de plomb autocratique et démente qui pèse sur ces jeunes apparaît d’elle-même, en
rendant illégale et dangereuse la vie presque similaire à la nôtre que ceux-ci entendent mener. Débarrassé de la pression de cette obligation de résultat démocrate, Les chats
persans
se révèle être, lorsqu’il suit son intrigue et ses protagonistes principaux, un drame de haute volée. L’énergie et l’humour dont il fait étalage en surface (en particulier via le
personnage du manager Nader, qui prend le couple de héros et le spectateur sous son aile dès la deuxième scène) sont des tentatives éperdues de garder à distance une conclusion cruelle. Avec la
musique comme vecteur, ces moyens arrivent presque à leur fin ; mais avant même la désillusion brutale de l’élection présidentielle de juin dernier, et comme s’il en avait prévu l’issue, Ghobadi
avait choisi de donner une fin tragique à son histoire.

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Les paroles de la chanson du groupe fictif qui sert de fil directeur au film (« nobody knows me – nobody needs me ») rappellent la situation du héros du livre Invisible man, de
l’américain Ralph Ellison sur ce que signifiait être noir aux USA dans les années 1950. Pleinement exprimée par le titre du roman, on y  trouve la composante majeure et immuable de tout
despotisme, toute discrimination : nier à ceux que l’on veut étouffer le droit d’être quelqu’un, de sortir du lot, d’inventer son propre moule.

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