• Saudade, de Katsuya Tomita (Japon, 2011)

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Où ?

Au MK2 Beaubourg

Quand ?

Samedi après-midi, à 16h30

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Il est des films qui débarquent de nulle part, prennent le contre-pied de toutes les règles, et s’en sortent magnifiquement. Saudade en fait partie, de si belle manière qu’il pourrait être le porte-étendard de cet ordre des films marginaux. Il n’implique que des noms rigoureusement inconnus, pose son récit loin de Tokyo, dans une ville de province morne et inerte, et y observe l’existence d’une poignée de sans-grades ballottés d’un épisode de crise à l’autre. Pour autant le réalisateur Katsuya Tomita ne se sent pas lié par la correspondance tacitement considérée comme automatique entre sujet convoquant la misère sociale, et misère esthétique de la forme. Ses plans à lui sont soigneusement composés, ses visions sont belles, le positionnement de sa caméra est toujours réfléchi. Et, globalement, son geste de cinéma est on ne peut plus ample : Saudade dure 2h45. Au vu du thème, c’est une longueur qui peut sembler aussi incongrue qu’elle l’était également a priori pour Laurence anyways. Mais tout comme Xavier Dolan, Tomita prouve que cette durée est bien celle qui convient à son film, dont aucun moment ne paraît inutile ou nonchalant.

Ce qui rend Saudade si puissant est son alliance, la plus naturelle qui soit, entre la tradition cinématographique de son pays et un souci constant d’être pleinement ancré dans le temps présent. Tomita a mené à bien son ambition claire de faire le portrait de la crise actuelle qui ronge les fondements économiques, sociaux, identitaires du modèle de tous les pays développés. A la limite, que le film ait été finalisé avant la catastrophe de Fukushima le rend plus universel que si cet évènement avait pris place dans le récit ; car les problèmes déjà nombreux qui minent l’existence des personnages nous sont tous très (trop) familiers. Sans jamais verser dans le film à thèse ou le discours de dénonciation sommaire, Tomita dresse un inventaire dense de tout ce qui va aujourd’hui de travers, trahissant un système possiblement à bout de souffle. Chômage et précarité en expansion, villes qui bétonnent sans plus pouvoir s’arrêter et en même temps perdent en vitalité, marketing envahissant cherchant à vendre n’importe quoi n’importe comment, action politique réduite à son versant clientéliste, repli communautaire radical (faute d’autres repères) qui vire à l’aigre et au drame… Saudade intègre ces choses de manière particulièrement fine – indirectement, au travers de leurs effets sur le quotidien des habitants de la ville de Kofu – et toujours sous une forme intelligente. Ces micro-fictions trouvent toutes la note juste, un savoureux mélange d’originalité qui nous rend moins bête (sur les minorités étrangères présentes au Japon par exemple), de burlesque qui nous fait rire sur des thèmes graves, et d’humanité qui nous garde du côté des personnages, qu’il s’agit de comprendre et non de condamner ou dénigrer.

Tomita compose avec Saudade un authentique film choral, au sens le plus beau et fou du terme et aux antipodes de la dérive masturbatoire que peut connaître le genre – la mode du « admirez la virtuosité avec laquelle je relie les fils des existences de mes personnages-pantins ». Dans Saudade les êtres ne se rencontrent pas nécessairement, souvent ils se croisent à peine, ils n’ont pas besoin de cela pour appartenir au même monde, être les acteurs d’un tableau cohérent. Leur solitude et le cloisonnement de leurs vies concourent d’ailleurs à ce tableau, d’un combat quotidien de plus en plus ardu. Pour donner vie à l’écran à cette œuvre, Tomita s’inspire de ce que le style de son pays a de meilleur. Il y a tout à la fois dans Saudade l’assurance sereine et classique d’Ozu (cette façon de savoir exactement comment se positionner pour s’installer en compagnie de gens simples dans une simple pièce, et tirer le meilleur parti émotionnel de l’instant), et la folie douce, accueillie positivement et comme faisant évidemment partie de la vie courante, qui irrigue quantité de chroniques délurées telles que The taste of tea ou Kamikaze girls. Le liant entre les deux lignées est assuré par un élément lui aussi typiquement japonais, la fluidité discrète de la conduite de l’histoire, toute en bruissements et raccords inopinés. Comme si une rivière souterraine creusait son lit sous la surface du film, et influait sur sa teneur, son rythme, son climat. L’emmenant au fil de ses méandres toujours aux bons endroits, toujours par des chemins détournés et ravissants.

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