• Laurence anyways, de Xavier Dolan (Canada-France, 2012)

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Où ?

Au centre Pompidou, en avant-première organisée par les Inrockuptibles

Quand ?

Jeudi soir, mi-juin

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Resté jusqu’à présent à l’écart du phénomène hype Xavier Dolan, c’est vierge de tout préjugé en bien comme en mal que je me suis plongé dans son troisième long-métrage, Laurence anyways. Plonger, expression consacrée pour un roman-fleuve à la lecture duquel on s’attaque plein d’un entrain mâtiné d’une légère appréhension (et si c’est mauvais ? et si j’abandonne en route ?), et qui se prête tout à fait à ce film. On ne sait dire ce qui rend a priori Laurence anyways le plus intimidant, entre sa durée, 2h40, et son synopsis, où un homme qui s’est toujours senti femme se décide, à l’approche de la quarantaine, à sauter le pas – à plonger, lui aussi. Il se met à porter robes, chaussures à talons, maquillage, boucle d’oreille, à terme on nous dira qu’il prend des hormones. Mais cet aspect-là des choses, la biologie, la mutation du corps, n’intéresse pas Dolan. Il n’y a pas de rendez-vous explicatif chez le médecin, de plan de nu choc dans son film. Ce n’est pas l’être en soi qui compte à ses yeux, mais l’être au monde, évoluant parmi ses semblables et interagissant avec eux. Ainsi le/la Laurence du titre n’est pas un sujet-thème, mais un sujet-personnage ; et le film qui se déploie autour de lui/elle ne l’isole jamais mais va au contraire sans cesse chercher la friction avec l’extérieur, pour se nourrir de l’énergie provoquée.

Évacuons au passage tout de suite la question de la durée, faux souci. Laurence anyways est une saga lyrique au long cours, un tourbillon d’affects à la vigueur et à l’endurance spectaculaires. Ouvert sur le monde plutôt qu’obnubilé par le nombril de son personnage, Dolan a à sa disposition un réservoir regorgeant d’individus et de relations à tisser, de lieux à occuper, d’époques à traverser. Tout est disponible, possible, et le réalisateur ne se prive de rien, ne se bride en rien. Son geste cinématographique épaule ainsi l’aventure de Laurence dans ce qu’elle a de révolutionnaire : bousculer un ordre établi, des conventions fossiles, inventer sa propre voie et s’y montrer fidèle pour donner l’exemple autour de soi. Le terme de révolution est explicitement prononcé dans le film, à un moment charnière : la première apparition de Laurence en femme aux yeux du monde (dans le lycée où il travaille) et du public. Ce mot est la touche finale qui achève de rendre irrésistible et irréversible la détonation qui perfore à cette minute le récit. Chanson électro poussée à fond et montage déchaîné, c’est une offensive globale qui est menée sur les fronts de l’image et de la bande-son, et qui traite le coup d’éclat de Laurence comme un clip pop exprimant toute la passion de l’instant. L’appel à la révolution est lancé, et celle-ci restera jusqu’au terme du récit électrique et romantique, vivante et vitale.

Le procédé du clip, avec surgissement de la musique et emballement du montage, servira à nouveau de moyen d’assaut à plusieurs reprises – chaque fois que Dolan considérera qu’un événement du récit requiert un surplus retentissant d’énergie, pour ne plus être un simple incident mais une authentique fulgurance. C’est une technique éculée, galvaudée même, par des masses de réalisateurs sans talent ; mais du talent Dolan en a, autant que de la sincérité, et la combinaison des deux fait de Laurence anyways un prodige d’art pop, dans son versant glamour. Le tout jeune (23 ans) cinéaste en rappelle un autre, lui aussi sauveur/meneur du cinéma pop mais sur une autre face, celle de la violence graphique – Tarantino. Les deux ont en commun un rapport fusionnel avec ce qu’ils créent, qui renforce l’éclat de leurs œuvres. Ils partagent aussi une faculté rare, celle d’être capable de sortir de soi-même pour se projeter, avec justesse, dans l’existence et l’âme d’êtres qui leur sont radicalement étrangers. De même que Tarantino, à 32 ans, nous contait dans Jackie Brown la ballade douce-amère de deux cinquantenaires (dont une femme noire) ayant la vie derrière eux, Laurence anyways voit Dolan donner vie à un transsexuel ayant deux fois son âge, ainsi qu’à sa mère et à sa compagne de sa vie « d’avant ». Ces deux femmes et leurs interprètes, Nathalie Baye et Suzanne Clément, ne sont pas cantonnées dans l’ombre de Laurence / Melvil Poupaud mais existent pleinement. Le film est également le leur, car leurs fortunes personnelles (une relation mère-fils compliquée pour la première, un parfait amour brisé net pour la seconde) importent tout autant, à Dolan et à nous. Chaque pointe de ce triangle fiévreux, romanesque, est en quête d’un accomplissement de soi, même si en fin de compte Laurence anyways s’attache plus à son personnage éponyme – car son émancipation est le vecteur de quelque chose de plus universel, qui s’adresse au monde ; l’embryon d’un chamboulement des esprits et des mœurs.

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