• Samsara, de Ron Fricke (USA, 2011)

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Où ?

Au Max Linder Panorama

Quand ?

Samedi après-midi

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Si Samsara n’était que le diaporama éléphantesque composé par ses images sans paroles, il ne me poserait presque aucun problème. Je n’y verrais qu’une création sans intérêt, car sans inspiration dans ses choix de lieux à contempler (sorte de best-of des « La Terre vue du ciel » & co.) et surtout sans génie dans sa manière de les regarder. Samsara n’est le fruit d’aucun souffle artistique particulier, mais doit tout à la technique : les moyens matériels permettant de faire d’immenses plans larges (hélicoptère, grue), et une caméra de pointe pour atteindre un niveau de détail sidérant en toutes circonstances. Tout cela ne fait pas une mise en scène, domaine dans lequel les idées du réalisateur Ron Fricke restent très limitées – ouvrir en grand la profondeur de champ pour provoquer le vertige, user du ralenti pour faire solennel et de l’accéléré pour souligner la perte de contrôle. Puis, en post-production, adosser ses images déjà grandiloquentes à une musique qui l’est tout autant (et qui ne se suspend jamais), ce qui fait de Samsara une masse définitivement écrasante, sans la moindre once de subtilité.

Bien plus indigeste que le matraquage imposé à nos yeux et nos oreilles est le gavage de notre cerveau qu’ambitionne d’accomplir Fricke. Samsara est un véhicule (du genre tank) servant un projet unique, colporter un jugement critique du monde moderne. Fricke ne s’embarrasse d’aucune retenue en ce qui concerne l’objet de son invective comme dans la radicalité sommaire de sa pensée. D’une part il aspire à embrasser du regard l’intégralité de la Terre et de l’humanité qui l’occupe, de l’autre il plaque sur cet immense domaine d’étude un postulat minimaliste et archaïque. Samsara nous ressort une rengaine vieille de trois mille ans, que les intégrismes de tout poil se chargent d’entretenir depuis : le conflit manichéen figuré par l’Ancien Testament entre Babylone la décadente et Jérusalem la pieuse. Fricke n’y va pas de main morte dans sa version personnelle de cette opposition symbolique, puisqu’il fait s’étendre Babylone à l’ensemble des zones habitées sur la planète, exception faite des lieux de cultes. Le mouvement du film est on ne peut plus explicite – débutant dans l’enceinte d’un monastère bouddhiste, il descend parmi les hommes observer sur les différents continents comment notre espèce va de travers, et dans la souffrance. Puis, une fois son tour des horreurs achevées, il nous indique ce qui est selon lui la seule voie vers la salvation (la religion) avant de retourner au monastère, nous faisant comprendre qu’il préfère attendre en ce lieu retiré qu’on achève de tout foutre en l’air, de tout réduire à l’état de poussière.

C’est édifiant, mais dans un sens grotesque. Fricke débite sur un ton désapprobateur immuable une litanie de maux sans queue ni tête, et surtout sans analyse ni mise en perspective d’aucune sorte. Tout n’est qu’assertions lapidaires et « explications » réductrices, du genre les armes sont la cause de la misère en Afrique ou le sexe est une chose mauvaise. Jamais Samsara ne prend le temps de la réflexion, qui rendrait le monde moins confortablement divisé entre le bien et le mal. À la manière des tenants de positions extrémistes Fricke ne cherche pas à instruire ou éclairer son auditoire, mais au contraire à l’assommer par son prêche vitupérant et rudimentaire. Ne s’attardant sur aucune responsabilité précise il accuse commodément tout le monde, sauf lui et ses copains moines, de tout. Ainsi, en plus d’assommer nos sens (la combinaison des images saturées et de la musique incessante agissant comme la thérapie de choc dans Orange mécanique, ou l’abrutissement infligé dans les centres commerciaux), il use des leviers obscurantistes que sont la frayeur et l’affliction, la diabolisation et la contrition. Lesquels ne contribuent en rien à la quête de solutions aux problèmes – pour la plupart réels – posés, mais sont ce qu’il y a de plus efficace pour attirer à soi de nouveaux fidèles convaincus en masse. Pour ma part je préfère me tenir à bonne distance d’un tel discours, simpliste et brutalement asséné ; et retourner écouter son contraire, riche et subtil, qui habite Cloud Atlas : une vision humaniste, progressiste, consciente des épreuves mais refusant de céder à la facilité.

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