• Room 237, de Rodney Ascher (USA, 2012)

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Où ?

À Cannes

Quand ?

En mai 201…2

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

En réalisant Room 237¸ Rodney Ascher ne cherche en aucun cas à résoudre l’énigme du Shining de Stanley Kubrick. Il n’est même pas certain qu’une telle énigme existe effectivement pour lui. Mais les personnes obsédées par le film, et ayant élaboré à son sujet des théories visant à en révéler un hypothétique sens profond caché dans les détails, sont bien réelles. Rien n’empêche dès lors d’aller à leur rencontre, et de recueillir leurs affirmations, tout en conservant à leur égard la plus complète impartialité : pas de biais pour ou contre, pas de hiérarchisation établissant une différence de valeur, entre les idées qui mériteraient sérieusement notre attention et celles qui ne pourraient aspirer qu’à nous divertir. Ascher traite à égalité les neuf théories qu’il a retenues, sans quête d’exhaustivité – Room 237 n’aspire qu’à être une étude, modeste et plaisante, une ouverture et en aucune façon une somme définitive et insurpassable.

Ascher fait de son film une tribune toute entière au service de ceux qui ont quelque chose à dire, à la manière du Speaker’s corner de Hyde Park. Les interviews suivent fidèlement le fil de la pensée des différents théoriciens, y compris dans leurs digressions ou coupures que le réalisateur ne cherche pas à expurger. Ce dernier, sur la base de ces discours qu’il a recueillis, engage une entreprise phénoménale de contorsion de Shining. D’œuvre aboutie et immuable, le long-métrage de Kubrick est ramené à l’état de matière première malléable à l’envie ; une pâte que l’on peut morceler, brasser, disposer sous des formes infinies en variété comme en nombre. Certains y voient une allégorie de l’Holocauste ou du génocide des Indiens d’Amérique, d’autres une confession par Kubrick de sa prétendue mise en scène de l’alunissage d’Apollo 11 ou bien un jeu de sa part sur les images subliminales. Inlassablement, sans arrière-pensée, Room 237 manipule les images de Shining en fonction de ces affirmations, prises comme autant de notices de montage possible.

Encore plus que son contenu, fort mais au bout du compte assez triste (la chose qui relie tous les orateurs est leur refus, restrictif, qu’une œuvre d’art puisse être plus grande que son créateur, et échapper à des considérations exclusivement rationnelles), c’est sa forme qui rend Room 237 si captivant. La démarche d’Ascher le fait tendre vers quelque chose de profondément musical, entre le ciné-concert – la bande-originale composée pour le documentaire par William Hutson et Jonathan Snipes y est d’une importance égale à celle des images – et le remix d’un album composé par un autre, avec pour effet d’en extraire de nouvelles sonorités et sensations. L’usage fait des moyens offerts par le numérique (Room 237 n’aurait pas pu se concevoir avec la même sensation de clarté, et de toute-puissance, il y a dix ans de cela) pour reprogrammer Shining aboutit à un résultat unique, envoûtant. Ascher juxtapose des images de séquences distinctes, les fait défiler dans n’importe quel sens et à n’importe quelle vitesse, dessine en surimpression dessus, dresse des plans en 3D du bâtiment… Autant que les interprétations d’une œuvre de cinéma, les possibilités de manipulation de celle-ci sont désormais infinies ; le vertige, ainsi que le pouvoir ludique et excitant de ce jeu, s’en trouvent redoublés.

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