• The shining, de Stanley Kubrick (USA, 1980)

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shining-3Où ?

A la maison, enregistré sur TCM en version longue inédite en Europe (plus de détails ci-dessous)

Quand ?

Vendredi soir

Avec qui ?

MaFemme et mon amie cinéphile

Et alors ?

 

Cette version longue de The shining est à la fois un événement – parce que jamais vue de ce côté-ci de l’Atlantique, parce que réellement plus longue (presque une
demi-heure en plus) et simplement parce que c’est de Kubrick dont l’on parle là – et un non-événement : loin des récits romantiques et excitants de films saccagés par un distributeur sans
scrupule, et de copies oubliées et retrouvées au fin fond d’une cinémathèque à l’autre bout du monde, cet autre montage a depuis le début existé au grand jour, aux USA où il constitua la version
projetée dans toutes les salles du pays. Après quoi le cinéaste, qui avait déjà comme fait d’armes d’avoir fini le montage de 2001 à bord du bateau l’emmenant de
l’Angleterre à New York, a repris ses ciseaux et amputé son long-métrage d’un cinquième de sa durée avant qu’il ne sorte en Europe ; sans pour autant renier l’autre version.

 

Dans un montage comme dans l’autre, The shining provoque la même admiration prodigieuse – et la même gêne légère face aux dispositions tranchées de Kubrick vis-à-vis du
genre horrifique auquel le livre de Stephen King s’inscrit tout entier. The shining est un récit de fantômes, d’esprits malveillants, de possessions et de communications
paranormales. Le long-métrage que Kubrick en a tiré laisse à penser qu’il ne s’est pas intéressé à ce roman pour son cœur surnaturel mais pour son enrobage, et les défis et potentialités de mise
en scène que ce dernier recèle. Il n’a pas fait un film sur les fantômes de l’Overlook Hotel mais sur le bâtiment en soi. Cet immense édifice est tellement isolé au fin fond des montagnes
Rocheuses qu’il est fermé d’octobre à mai, avec pour seuls occupants en chair et en os un gardien (Jack Torrance / Jack Nicholson) et sa famille – sa femme Wendy (Shelley Duvall) et son fils
Danny (Danny Lloyd).

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Les dimensions colossales de l’hôtel et le vide qui l’occupe sont effectivement une bénédiction pour un réalisateur plus visuel que narratif, et encore plus quand ce réalisateur est aussi
ambitieux et exigeant que Kubrick. Ce cinéaste-architecte trouve là un terrain de jeu à sa démesure, dans la foulée des stations et vaisseaux spatiaux de 2001, de la
métropole d’Orange mécanique et de la
reconstitution d’époque de Barry
Lyndon
. Chaque plan de The shining nous éclabousse non seulement de sa beauté mais aussi de l’ampleur et de la sophistication de son
élaboration. L’agencement des différentes pièces de l’hôtel est tellement travaillé que chacune a son atmosphère propre, tout à fait distincte des autres, essentiellement échafaudée à partir
des couleurs, irréelles et inquiétantes à force d’être contrastées. Dans ces lieux le moindre événement, la moindre action sont filmés d’une manière que seul un esprit fait pour penser en termes
de cinéma pur, comme Kubrick (ou Welles), peut concevoir. Les déplacements à la Steadycam (inventée sur ce tournage), délivrés de tout tremblement ou balancement humain, et le travail de
couplage intensifié entre l’image et le son – le bruit du choc de la balle de base-ball que Jack joue à lancer contre le mur de l’immense hall, les transitions tapis/plancher sous les roues du
tricycle de Danny – établissent sensoriellement un univers qui n’est pas régi par l’homme mais est la force dominante.

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Par-dessus cette première strate de mise en scène, Kubrick en rajoute une autre qui repose sur l’alternance incessante entre des plans et scènes inoccupés et d’autres saturés de présences, de
corps, de mouvements. L’exemple le plus étourdissant et mémorable est celui de la gigantesque salle de bal, soudain non plus à l’abandon mais théâtre d’une fête splendide et fabuleuse. Mais le
jeu d’un décalage abrupt entre des ambiances contraires se déroule d’un bout à l’autre du film, dont il est le moteur principal. Cela va d’abord dans un sens – les travellings en plan très large
lors de l’arrivée à l’hôtel, pour intégrer dans le cadre tout le fourmillement humain de l’activité de ce jour de fermeture avant l’hiver ; et soudain la solitude radicale de Jack, Wendy et
Danny. Puis le mouvement repart dans l’autre sens : quand Jack sombre plus avant dans la folie et cherche l’affrontement plutôt que l’isolement, chaque scène incluant deux personnages ou
trois est traitée avec une violence débordante. Comme si sous l’effet d’un tel enfermement tout rapport avec autrui ne pouvait plus être que conflictuel, agressif. Le climax de ce second
mouvement est évidemment la scène culte où Jack se met en tête de forcer à coups de hache – filmée au premier plan selon un cadrage stupéfiant – la porte de la salle de bains où Wendy s’est
enfermée.

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Pour toutes ces raisons, et tant d’autres encore (une analyse point par point de la splendeur et de la puissance de chaque moment du film prendrait un livre entier), The
shining
est un monument de cinéma, un travail plastique pas loin d’être insurpassable. Mais fait-il peur ? Pas tant que ça. Il inquiète, il captive, il fascine (on ne peut pas
affirmer qu’on soit franchement détendu durant la projection), mais ce sont là des choses qui communiquent avec notre cerveau et non nos tripes – là où se crée la terreur véritable. Pour nous
faire réagir physiquement à son histoire, encore faudrait-il que Kubrick y adhère lui-même. Or il semble au contraire toujours se tenir à distance, avec une froideur certaine, comme si tout cela
n’était pas suffisamment sérieux pour être digne d’un intérêt intégral. En conséquence, les protagonistes sont plus ou moins bien servis selon leur degré de compromission avec le paranormal. Le
couple formé par Wendy et Jack est ainsi bien plus à son avantage et accrocheur que les deux médiums que sont Danny et le cuisinier Hallorann, dont Kubrick ne sait que faire. De centraux dans le
roman, ils deviennent respectivement un enjeu de scénario (Danny est celui dont il faut sauver ou supprimer la vie) et un accessoire – Hallorann n’est là que pour amener une chenillette prête à
démarrer devant l’entrée de l’hôtel, pour permettre une fuite. Ce refus du récit horrifique est encore plus net dans la version européenne plus courte. Les scènes qui en ont été retirées
concernent principalement l’exposition et l’observation des phénomènes paranormaux à l’œuvre (et donc des personnages qui y sont le plus liés, à savoir Danny et Hallorann), comme si Kubrick avait
finalement choisi d’assumer sa sécession d’avec le roman. A mon sens, le résultat n’est ni plus ni moins convaincant : que l’on ne saisisse rien ou presque de ce qu’il se trame, ou que l’on
soit plus informé mais en remarquant toujours nettement les blancs laissés dans le récit, la frustration est comparable et empêche dans les deux cas de s’immerger pleinement dans la peur.

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The shining n’est donc pas en soi un film définitif, mais les bases nouvelles que Kubrick y pose ont trouvé leur aboutissement vingt ans plus tard, dans le monde du jeu
vidéo. La somme de ce que la révolution que fut Resident evil premier du nom doit à The shining est gigantesque : son décor unique et immense, la variété
des environnements et des occupants qui s’y trouvent, la progression angoissée et hasardeuse en son sein, l’ambiance sonore oppressante, la caméra qui n’est pas l’allié du visiteur mais un
observateur détaché… L’interactivité offerte par le jeu est le seul élément qui manquait au film et qui permet à Resident evil de provoquer cette peur panique et viscérale, sensation à
la fois délicieuse et insoutenable.

2 réponses à “The shining, de Stanley Kubrick (USA, 1980)”

  1. BlueCookie dit :

    « Une analyse point par point [...] prendrait un livre entier » : Ben allez, au boulot mec !

    Pour moi, Shining est soit un « Work In Progress » soit une démonstration technique. Ça n’enlève rien au fait qu’il soit phénoménal et brillant, mais le fait que Kubrick ait pris le parti de se
    détacher à ce point de la trame originale est à double tranchant. Il a ainsi la liberté de pondre le chef d’oeuvre qu’on connaît, mais dans lequel il manque une trame de fond « horreur », j’irais
    presque dire une âme si j’étais un peu méchant.

    Ou alors, c’est peut-être juste que j’ai été tellement secoué par le bouquin de King que je m’attendais plus à une brillante adaptation, qu’à une oeuvre si ré-appropriée qu’elle n’a plus rien d’une
    adaptation.

    Chais pas.

  2. jp dit :

    Juste pour rectifier une inexactitude relayée par les médias : The Shining dans sa version longue (la meilleure à mon sens) n’est pas inédite en France car je me rappelle très bien l’avoir
    enregistré et découvert sur le câble (je ne sais plus si c’est sur ciné cinémas ou une autre chaîne) à la fin des années 90. Sinon continuez votre blog car même si je suis souvent en désaccord avec
    vos propos je prends un très grand plaisir à vous lire.