• Night moves, de Kelly Reichardt (USA, 2013)

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Où ?

À Deauville, en compétition au Festival du film américain (où le film a remporté le Grand Prix)

Quand ?

Début septembre

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

On avait quitté Kelly Reichardt sur les terres désertiques de l’État d’Oregon, pour La dernière piste. Avec Night moves on la retrouve au même endroit, presque deux cents ans plus tard, et le paysage a bien changé. L’industrialisation galopante est passée par là, avec son besoin insatiable en ressources naturelles, espace et énergie. Josh, Dena et Harmon, les trois personnages principaux de Night moves font partie de ceux qui, face à ce carnage écologique, ont décidé de passer du refus soft à la rébellion hard. La cible qu’ils comptent cette fois rayer du paysage est un barrage hydroélectrique, et la première heure du film n’a qu’un unique horizon : la réalisation de cette mission. On n’attendait pas Reichardt sur ce terrain du pur cinéma de genre, même si elle en empruntait certains codes dans La dernière piste ou Wendy and Lucy. Force est de constater qu’elle le pratique admirablement bien, entre cadrages cinglants, découpage tiré au cordeau, et interventions de la musique toujours à bon escient. Cette moitié de Night moves est une démonstration éclatante, qui emprunte bien sûr beaucoup à Hitchcock (le suspense qui est l’alpha et l’oméga de chaque scène, avec comme corollaire la paranoïa aiguë des protagonistes) tout en se rapprochant également du travail de Michael Mann – la prédominance de la nuit (et sa représentation esthétiquement sidérante), l’absence complète d’affects chez des personnages à l’attitude sèchement professionnelle.

Ces sentiments refoulés remontent à la surface dans le second temps du film, qui peine plus à captiver. Privé du moteur de l’action à accomplir, Night moves se cherche en attendant de reconstituer un conflit à résoudre. Il est heureusement tenu à bout de bras par deux atouts forts et fondamentaux, ses acteurs et sa mise en scène. Parmi les premiers c’est le toujours parfait Jesse Eisenberg qui s’impose alors, après avoir laissé ses partenaires Dakota Fanning et Peter Sarsgaard (dans de beaux rôles inattendus) mener solidement la danse sur le chemin du barrage. Quant à la mise en scène, elle est aussi puissante que primordiale car c’est à elle seule que Reichardt s’en remet pour nous faire voir le monde tel que le trio de rebelles le conçoit. Pour parvenir à cette fin la réalisatrice se refuse à user de la solution de facilité qu’est l’empathie, ce qui est tout à son honneur. Elle ne nous contraint pas à penser comme Josh, Dena et Harmon, elle nous permet de les comprendre tout en laissant intact notre libre-arbitre. Décision précieuse, et ambitieuse, que son talent et son intelligence concrétisent au moyen d’une réflexion de tous les plans sur le point de vue. Qui regarde, et, partant de là, comment ce regard influe-t-il sur le contenu objectif de la scène, sont les questions qui façonnent chaque instant de Night moves.

Les deux éléments, la mise en scène et les acteurs, atteignent conjointement leur acmé pour fournir au film une superbe conclusion en deux temps. D’abord durant la nuit, encore, pour une confrontation physique brillamment chorégraphiée et saisie par la caméra, où la tension et la violence contenues jusque là explosent. Et laissent derrière elles, quand arrive le jour d’après, un champ de ruines sur lequel Reichardt compose avec beaucoup de doigté un épilogue façon Les affranchis. Le monde n’a pas changé, sa surface est toujours empreinte de cette même laideur terne et stagnante qui écœurait Josh, Dena et Harmon à chaque regard porté sur lui. La société est toujours malade de l’aliénation des individus, et de leur résignation à changer quoi que ce soit. Mais désormais il faut apprendre à s’y fondre, à vivre cette soi-disant vie. Exactement comme le disent les derniers mots de Henry dans Les affranchis : « I’m an average nobody. I get to live the rest of my life like a schnook ».

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