• Wendy and Lucy, de Kelly Reichardt (USA, 2008)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, dans une petite salle jouxtant celle où j’ai vu Les 3 royaumes le même soir

 

Quand ?

Mardi soir de la semaine dernière

 

Avec qui ?

Seul

 

Et alors ?

 



Wendy and Lucy
est en quelque sorte le petit frère fragile et modeste de Into the wild – ou plutôt sa petite sœur, puisqu’il
s’agit d’un film « de filles », de la réalisatrice Kelly Reichardt à l’actrice principale Michelle Williams et à la chienne qui l’accompagne. Les deux films ont en commun un même type
de personnage, jeune et marginal, et une même volonté octroyée à celui ou celle-ci : rejoindre à moindres frais l’Alaska, eldorado coupé du monde et de ses dérives matérialistes (l’argent
comme unique horizon) et punitives à l’égard des faibles et des marginaux. Wendy and Lucy s’ouvre ainsi sur deux scènes dont l’enchaînement, tel un diptyque, expose crûment tout
ce qui oppose le monde de ces outsiders – réunis autour d’un feu de camp dans une forêt nébuleuse et une nuit intemporelle, deux sentiments amplifiés par la lumière ténue et la mise en
scène dépouillée du film – et celui des gens assimilés, dociles : le lendemain matin (peut-être), Wendy est priée de déplacer sa voiture dans laquelle elle dormait, le parking sur lequel
elle est garée étant réservé aux clients quand bien même ceux-ci sont encore invisibles.

 

La voiture de Wendy est l’un de ses deux soutiens essentiels, l’autre étant sa chienne Lucy qui fait la route avec elle. La combinaison de la panne de la première et de la disparition de la
seconde, à quelques heures d’intervalle, représente dès lors le pire des scénarios possibles pour la jeune femme ; et la plus belle victoire du film est de nous faire sentir véritablement
toute l’ampleur de cette catastrophe. On ne reste pas à distance de cette tragédie ; on prend pleinement conscience qu’elle a sur Wendy le même impact terrible que l’aurait la perte
simultanée de sa maison et de son époux (ou épouse) pour n’importe lequel d’entre nous, observateurs appartenant au monde des assimilés. Ce rapprochement entre le point de vue du spectateur et
celui du personnage prend forme par le biais du traitement en temps réel, et en maintenant à distance aussi bien le misérabilisme que le fatalisme, des actions entreprises par Wendy après le
cataclysme. Il peut s’agir de choses menant à un espoir de résolution des problèmes (visiter la fourrière, coller des affiches d’appel à témoins, demander conseil à un garagiste), mais aussi et
surtout d’actions plus ordinaires, des interludes habituellement négligés : prendre le bus pour se rendre à la fourrière, vider sa voiture avant de la laisser entre les mains du garagiste,
faire sa toilette et changer d’habits dans les toilettes d’une station-service.

 



Le film se construit dans cette description du quotidien le plus trivial, qui par sa répétitivité et sa précarité rappelle à Wendy qu’il est inconcevable pour elle de rester trop longtemps dans
cette situation, dans cette ville, dans ce monde qui n’est plus le sien. L’importance donnée à la lenteur de l’écoulement du temps (dans une cellule du commissariat de police local où elle est
traitée comme un dossier plutôt qu’un être humain, ou bien au cours d’une nuit passée sans abri où dormir et qui semble ne jamais vouloir s’achever) participe à ce même mouvement tragique :
le mouvement est la seule façon pour Wendy de vaincre cette inexorabilité du temps qui passe, dans laquelle elle pourrait bien disparaître, à l’image de tous ces anonymes vaincus – les sans-abris
-, résignés – le vigile du supermarché – ou brisés – le fou croisé dans la forêt – qui peuplent la ville où elle est stoppée. On pense aux récits de ces migrants africains
« stranded » (échoués) dans un coin inconnu du désert, car ils n’ont plus aucun moyen de poursuivre leur route vers l’Europe ou de retourner chez eux. Mais Wendy and
Lucy
se déroule non pas sur le chemin du pays le plus riche et le plus développé du monde, mais au cœur de celui-ci. Dissimulée sous sa coupe à la garçonne et ses vêtements de bric et de
broc, Michelle Williams (révélée dans Dawson mais suivant un plan de carrière cohérent et éloigné des paillettes depuis Brokeback Mountain et Land of
plenty
) incarne de manière poignante la mise à l’écart de la société mi-désirée mi-endurée, symbole d’un désenchantement profond. Sur ce thème, le geste de Into the wild
se plaçait dans la lignée des grands romans américains ; celui de Wendy and Lucy tient plus de la nouvelle, compacte et tendue, qui en dit beaucoup en parlant peu.

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