• Near Death Experience, de Benoît Delépine & Gustave Kervern (France, 2014)

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Où ?

Au MK2 Bastille, l’un des trois cinémas parisiens seulement à passer le film

Quand ?

Jeudi soir, à 22h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Le grand soir montrait Benoît Delépine et Gustave Kervern s’égarer dans le mainstream, domaine dont ils s’étaient progressivement rapprochés avec Louise-Michel puis Mammuth. La première bonne nouvelle de Near death experience est la force du coup de barre donné par les deux hommes pour revenir radicalement à la marge. Ce nouveau film est tout aussi mal élevé et revêche que l’étaient leurs premières incursions dans le cinéma, Aaltra et Avida. La deuxième bonne nouvelle, c’est que Near death experience est une réussite. Son seul défaut notable est le revers d’une de ses qualités : on le voit traîner un peu en longueur dans sa seconde moitié parce qu’avant cela il est d’une concision âpre, d’une efficacité tranchante comme ces cadrages qui guillotinent les gens « normaux » avec qui Paul, l’antihéros, est encore supposé interagir au début du film. Il ne faut jamais plus d’une scène à Near death experience pour régler son compte à une idée, ou à des personnages. Une scène pour les collègues de travail, une scène pour la famille (et intercalée entre les deux, idée brillante, une scène pour la société dans son ensemble, traitée de manière documentaire via un « reportage » du JT de Jean-Pierre Pernault) ; et voilà Paul parti dans la garrigue, les mains vides, dans le but de s’y suicider.

Paul est incarné par Michel Houellebecq, qui ne joue pas littéralement son propre rôle (au contraire de L’enlèvement de Michel Houellebecq) mais c’est tout comme. Paul sert d’alter ego aux penchants misanthropes et acariâtres de Delépine et Kervern, et Houellebecq n’a nul besoin de se faire prier pour abonder dans leur sens. En associant leurs énergies néfastes et leurs idées noires le trio se constitue une force de frappe redoutable, qui le rend capable de vitrifier le monde du fait de son dégoût du présent. Au contraire du Grand soir, trop potache pour ne pas se ramollir, Near death experience cogne dur et sans indulgence, jusqu’à un point final – la scène de l’auto-stop – émettant un jugement impitoyable sur la vacuité des gens. Cette vision commune n’est pas le seul atout de la présence de Houellebecq, qui apporte également aux deux réalisateurs une superbe matière cinématographique à travailler. Son physique dégingandé, ses mimiques de Droopy, sa voix traînante et son regard perdu suffisent, ensemble ou même pris séparément, à remplir le cadre de choses captivantes, dérangeantes. Houellebecq est un spectacle de cinéma à lui seul, et le faire évoluer à l’écart du monde, sans personne pour lui donner la réplique, devient à la réflexion la meilleure chose à faire.

Le film ne se résume tout de même – et heureusement – pas au seul écrivain. Renouant résolument avec les œuvres de leurs débuts, Aaltra et Avida, Delépine et Kervern travaillent l’impureté de la forme de Near death experience pour en faire le prolongement de ce que le film dit. La qualité de leur DV low cost est dégueulasse, mais pas sans raisons. Il y a quelque chose de l’ordre du doigt d’honneur dans ce geste, ainsi qu’une pensée plus profonde. Car si l’image est laide au possible dans les plans larges, noyée dans le grain, sans netteté et aux teintes ternes, dès lors que le cadre se resserre sur un individu – sur Paul, donc – elle se révèle différemment. Soudain on fait mieux que distinguer, on voit véritablement : les détails du corps, les expressions du visage, le contraste des couleurs… À l’écran de Near death experience comme dans la vie, la nature d’un être ne se dévoile que lorsque la relation devient personnelle et non plus globale, lointaine. Le bruit s’efface, et on saisit même un brin de poésie, dans un épilogue qui raccorde de manière étonnante le film avec L’institutrice, sorti le même jour ; lui aussi traite de la poésie qui a perdu toute valeur sociale, et de l’incapacité à communiquer avec les gens « normaux ».

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