• Derniers feux français de l’année : L’apprenti, de Samuel Collardey (France, 2008), et Louise-Michel, de Benoît Delépine et Gustave Kervern (France, 2008 aussi)

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Où ?

Au MK2 Hautefeuille pour L’apprenti, et au ciné-cité les Halles pour Louise-Michel

Quand ?

Dimanche puis lundi soir

Avec qui ?

Ma femme pour L’apprenti, et seul pour Louise-Michel

Et alors ?

J’ai fréquemment été assez peu tendre avec le cinéma français au cours de l’année 2008 (ici par exemple). Mais tout de même, au sein de la pléthorique production nationale – 45 films sur les 135 sortis cette année que j’ai vus, soit pile un
tiers – certaines œuvres marquantes et sortant des sentiers battus ont réussi à se faire une place, bien que celle-ci se soit le plus souvent trouvée loin des principaux circuits médiatiques et
de distribution grand public. Pêle-mêle, on peut citer La vie
moderne
, La frontière de
l’aube
ou encore Didine. Et
par un heureux hasard, le cru 2008 du cinéma français se clôt sur deux films ayant tout à fait leur place dans cette liste : L’apprenti et Louise-Michel.


Le premier des deux est une complète surprise. Premier long-métrage de son
réalisateur, Samuel Collardey, il s’agit d’un documentaire jouant à flirter avec les bordures du genre – une des thématiques fortes de cette année ciné, via par exemple VHS Kahloucha et Les enfants de Don Quichotte. L’apprenti
suit une année d’études en lycée agricole dans le Doubs de Mathieu, 15 ans ; chez sa mère, en internat au lycée, et surtout une semaine sur deux en tant qu’apprenti sur le terrain, dans la ferme
de Paul. S’il fallait résumer rapidement le concept du film, l’expression « documentaire scénarisé » serait la plus appropriée. Bien que ne contenant que des séquences
« vraies », L’apprenti est façonné de deux manières. La plus évidente est le travail formel opéré par Collardey, qui applique à son film des moyens de tournage assurant
une certaine classe visuelle et sonore : belle lumière, mouvements de caméra et effets de montage élaborés, enregistrement du son à l’aide de plusieurs micros dédiés… Il en découle un grand
nombre de plans tout simplement magnifiques, qui vont d’une vue en contre-plongée d’un instrument de grutage dans une scierie au départ final de Mathieu de la ferme, sur un chemin de campagne où
le vent semble lui ouvrir la voie en repoussant les nuages devant lui. On retrouve dans ces prises de position une démarche anti-misérabiliste très proche de celle de Raymond Depardon pour
La vie moderne ; par un hasard plus ou moins volontaire, les deux films se retrouvent d’ailleurs au palmarès du prix Louis-Delluc cette année, l’un pour le meilleur film français
de l’année et l’autre pour la meilleure première œuvre.

L’autre opération de scénarisation menée par Collardey se joue au niveau de la conduite du récit. Le réalisateur impressionne par sa capacité à se maintenir du bon côté de la frontière étroite
entre manipulation grossière – du spectateur, des personnages – et orientation sous-jacente du film dans une direction digne d’intérêt. Sans jamais mettre à mal le réalisme de son film, qui
accumule des scènes du quotidien au travail (à la ferme, dans les salles de classe) et de loisir (au bar, à la maison), Collardey procède par petites touches pour lui faire dire quelque chose. Il
a ainsi choisi ses protagonistes, mais sans leur demander de jouer un rôle ; leur a soufflé ici et là des sujets de conversations, mais toujours basés sur leurs vies et sans retravailler leurs
échanges a posteriori. Surtout, il réussit dans les dernières minutes un coup de maître en dévoilant soudain au grand jour, en un simple montage alterné de quelques plans, les véritables enjeux
de fond de l’expérience commune de Mathieu et Paul – et leurs échecs, scolaires et affectifs. On n’avait rien vu venir de toute cette dramaturgie profonde, qui fait de L’apprenti
un film d’une grand force. Car il ne fonctionne pas contre ses sujets d’étude, mais se met finalement à leur entière disposition : l’art y sert à ennoblir les problématiques et les écueils de
leurs vies, sans les juger ni les remanier, et à mettre en lumière leur importance extrême pour Mathieu et Paul.


Louise-Michel traite aussi de la « France d’en-bas », mais d’une façon plus liée à l’actualité et dans un style autrement plus décalé. Issus du Groland, Delépine et
Kervern ont effectué certaines ruptures marquantes avec leurs deux premiers longs-métrages Aaltra et Avida (passage du noir et blanc crade à la couleur, suivi d’un
vrai récit avec des mobiles concrets). Cependant, leur prédisposition pour la mise en scène minimaliste et la structure sous forme d’une succession de sketches sans queue ni tête et remplis de
copains qui passent par là (Poelvoorde, Kassovitz, Dupontel…) reste au cœur de leur projet de cinéma. Ce qui apparaît tour à tour, selon que l’idée comique suivie soit bonne ou pas, comme un
signe distinctif porteur d’air frais en ces temps de standardisation triomphante ou comme un boulet empêchant le duo d’exploiter pleinement leur ambitieux et irrévérencieux sujet. (Et, faut-il le
préciser, cette continuité dans le style rend inutile le déplacement pour ceux que Aaltra et Avida horripilaient au plus haut point.)


Avec son scénario road-movie menant une ouvrière bourrue licenciée (Louise, Yolande Moreau) et un tueur à gages à la manque (Michel, Bouli Lanners) de la Picardie à Jersey sur les traces des
patrons de la holding ayant décidé de la fermeture de l’usine de Louise, Louise-Michel est on ne peut plus en phase avec l’actualité. Et dans de telles conditions, l’humour qui
cache son désespoir sous des rafales de mitraillette de Delépine et Kervern est d’une redoutable efficacité – la dernière partie à Jersey tout particulièrement. Décomplexée et virulente à
souhait, la chasse aux patrons à laquelle ils nous convient est la réponse la plus jubilatoire que l’on puisse imaginer à l’injustice destructrice de la situation actuelle, injustice que le film
a l’intelligence de ne pas occulter tel un vulgaire feel good movie. Difficile de confondre : un feel good movie ne se conclurait pas sur une phrase de Louise Michel (la vraie)
appelant à « faire du hachis » des « patrons larrons ».


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