• Millénium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes (The girl with the dragon tattoo), de David Fincher (USA, 2011)

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Où ?

A Londres, à l’Odeon Leicester Square (le Grand Rex local)

Quand ?

Jeudi soir (le film sort le 18 janvier en France)

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Trouver David Fincher aux commandes d’un projet aussi explicitement marchand que cette réadaptation par Hollywood (une version tv-ciné suédoise existe déjà) du premier tome du blockbuster littéraire Millénium, The girl with the dragon tattoo, avait de quoi surprendre et frustrer, après les modèles d’intelligence, d’exigence et d’ambition artistique qu’ont été Zodiac et The social network. Même L’étrange histoire de Benjamin Button, tourné entre ces deux films et qui est à mon sens un ratage, partait d’une volonté d’être singulier, original. Dans le cas de Millénium, pour ce qui est de l’originalité et de l’altérité du matériau de départ on repassera. Imaginez un Se7en bis, avec tueur en série tout aussi caricatural dans sa folie misanthrope et ses références bibliques obsessionnelles ; faites un ravalement de façade en remplaçant la pluie du déluge par un hiver polaire persistant ; et pour faire bonne démesure, dopez l’intrigue avec des injections massives de tous les clichés de thriller possibles – nazis, viols, incestes, il y en a pour tous les goûts dans ce joyeux manège du grand guignol.

La motivation la plus patente ayant pu pousser Fincher à accepter de faire le film est qu’il lui fournissait une occasion immédiate de retravailler avec la dream team à l’œuvre sur The social network. Les mêmes noms réapparaissent à la photographie, aux décors, au montage, à la musique… pour un résultat également somptueux et formant un tout formel admirablement cohérent. L’impact émotionnel est (un peu) moins fort tout de même, à cause de la disparition de l’effet de surprise de la première fois, mais aussi de l’ajustement plus évident entre l’apparence du film et son sujet. The social network est un drame, et le mettre en scène comme un thriller noir et oppressant provoque un décalage qui se dissipe pour The girl with the dragon tattoo, qui est dès le départ un thriller. Pas question cependant de bouder notre plaisir, car on reste très au-dessus de la moyenne de ce qui se fait dans le genre. Tellement que ce savoir-faire cinématographique haut de gamme est de taille à faire passer la double pilule des délires abracadabrants de l’histoire et des torts très hollywoodiens du scénario qui en est tiré, et qui colle si bêtement à l’écriture du roman qu’il en oublie d’adopter une écriture de cinéma ; d’où certains personnages annexes exclusivement utilitaires, des longueurs handicapantes, et un rythme claudicant. Malgré toutes ces entraves, on ne décroche jamais. Fincher et sa troupe parviennent à donner un souffle au film et à le maintenir, captant notre intérêt et ne le laissant pas s’échapper.

En réalité, Fincher fait encore mieux que cela. Il a saisi dans The girl with the dragon tattoo l’existence d’une âme, et d’une héroïne au destin marquant. Et c’est certainement pour les révéler l’une et l’autre au grand jour qu’il a décidé de faire le film. Sa réalisation fait du carnaval détraqué qu’est le récit un tableau qui reste, tout grotesque qu’il est, une représentation du Mal. Le recul – salutaire – pris par rapport aux gesticulations de surface du script n’est pas de mise dans le traitement des monstruosités fondamentales avec lesquelles le film fraie. The girl with the dragon tattoo devient une œuvre hantée par les démons les plus sombres, où la présence du Mal est bien plus qu’une source de divertissement somme toute inoffensive : une menace terrible et omniprésente, ici terrée dans le passé, là infiltrée dans le système. Le regard de Fincher transforme l’enquête de Mikael / Daniel Craig et Lisbeth / Rooney Mara en une lutte incessante et suprême pour empêcher que l’humanité ne soit plongée irréparablement dans les ténèbres, une lutte qui exige le mise en jeu de l’intégralité des forces de ceux qui s’y engagent. Leurs corps et leurs âmes sont mis à l’épreuve, et Fincher fait en sorte de propager cette exténuation et ces douleurs aiguës jusque dans la chair et l’esprit du spectateur (voir la séquence du viol, d’une violence et d’une crudité effroyables et inouïes pour un film de ce calibre). Dans The girl with the dragon tattoo, le point focal n’est pas un suspense épidermique et fugitif mais l’exploration des courants funestes, destructeurs qui le sous-tendent. En cela, ce film-ci est bien plus proche de la folie insidieuse et vertigineuse de Zodiac que des extravagances gratuites de Se7en.

Une autre similitude avec Zodiac nait de la manipulation opérée par les deux longs-métrages, qui affirment de prime abord traiter d’une chose, une enquête sur des meurtres non résolus, pour en réalité en développer une autre, le parcours intime d’un des enquêteurs. Dans le cas présent, Lisbeth, the girl with the dragon tattoo. En plus d’être plus beau que son équivalent français, le titre anglais est ainsi plus fidèle à l’esprit du film car, d’un bout à l’autre, Lisbeth est son unique centre d’intérêt véritable – bien qu’il faille attendre la dernière ligne droite (et surtout le dernier plan, superbe) pour le voir se concrétiser effectivement. Lisbeth est la plus fascinante, complexe et touchante des marginaux et contestataires qui peuplent les œuvres de Fincher, depuis la Ripley de Alien 3 – une femme, déjà. Colosse aux pieds d’argile comme ses semblables dans la filmographie du cinéaste, elle est aussi surpuissante que vulnérable, géniale mais gênante, dominante mais esseulée. Portée par l’interprétation incroyablement habitée de Rooney Mara, dont le talent entraperçu dans la scène d’ouverture de The social network explose à cette occasion, Lisbeth éclipse tout le reste, tous les autres. A une exception près : le générique de début, magnifique œuvre d’art en soi, qui fonctionne indépendamment du reste du film (Fincher parle dans cette interview de « cauchemar de Lisbeth ») en en réinterprétant les thèmes sous une forme figurative éblouissante, avec l’appui d’une reprise rageuse de Immigrant song par Trent Reznor et Karen O. Interdiction d’arriver en retard et de rater ça.


« je t’ai jusqu’à quelle heure avec moi ? »

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