• Looper, de Rian Johnson (USA, 2012)

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Où ?

A l’UGC George V

Quand ?

Mardi soir à 20h, en avant-première de la sortie le lendemain

Avec qui ?

Mon compère d’UGC

Et alors ?

Rian Johnson s’était fait connaître avec Brick, un premier long-métrage fait avec presque rien et infiniment prodigue envers le spectateur : alambiqué, intelligent, malsain dans ses marges et désabusé en son cœur. Il s’en dégageait l’image d’un cinéaste n’ayant d’autre choix que celui d’échafauder des structures narratives complexes au-delà du raisonnable, opérant comme un carcan splendidement ouvragé venant endiguer sa perception du monde, mélancolique et pessimiste, car travaillée par la mort. Le deuxième film de Johnson, Une arnaque presque parfaite, tentait le contrepied total avec une intrigue rieuse et un ton frivole. L’échec fut au rendez-vous, Johnson partit se faire oublier un temps en allant réaliser des épisodes de la série Breaking bad, et il nous revient aujourd’hui en pleine forme, taciturne et tortueuse.

Looper est porteur d’une excellente nouvelle : Une arnaque presque parfaite était un accident de parcours, une parenthèse que l’on est en droit d’effacer de notre mémoire. Dans ce nouveau film Johnson renoue avec tout ce qui fait la grandeur de Brick. Le retour aux sources est particulièrement vif dans le début du récit, qui nous introduit dans un contexte similaire de film noir délocalisé (sur un campus de fac dans Brick, en 2044 dans Looper) et désaxé, aux codes respectés mais à la substance finement frelatée. Les protagonistes non plus ne nous sont pas étrangers, qu’il s’agisse du boss étrangement placide, de son porte-flingue empoté et colérique, et bien sûr du héros, Joe. Joué comme dans Brick par Joseph Gordon-Levitt, il a un pied solidement ancré dans le système malfaisant en place (il est un tueur à gages sans états d’âme et drogué jusqu’à la moelle) et l’autre en surplomb – guidé par aucune allégeance ou morale, il n’aime rien d’autre que lui-même et son magot de lingots. Ce caractère de cochon fournit à Looper son délectable fil d’Ariane, qui l’empêchera toujours de perdre pied malgré la déferlante de renversements narratifs : Joe est à ce point égocentrique que même une version plus âgée de lui-même, revenue du futur, lui apparaît comme hostile et à combattre.

Car Looper, non content de prendre place trente ans dans notre futur, concocte un moyen de se projeter trente ans dans le futur de ses personnages. En 2074, le voyage dans le temps existe et est mis à profit par les cartels mafieux pour renvoyer en 2044 les encombrants en tous genres, qui y sont éliminés par des tueurs spécialisés (dont Joe), les loopers. Comme d’autres avant lui, Joe se voit un jour mis en demeure de tuer son moi du futur. Sauf que « Old Joe » (qui a les traits de Bruce Willis) ne l’entend pas de cette oreille et a en tête un tout autre plan – trente ans de plus ne l’ont pas rendu moins incommode et borné, seuls ses objectifs ont changé. La guerre entre les deux Joe commence, et fait entrer dans le film le thème classique de la possibilité, ou non, de changer le cours des évènements à venir, pour soi et le monde entier. Johnson n’a pas pour ambition de le réinventer, simplement de s’amuser avec. La science-fiction en général, et sa branche manipulant le temps en particulier, ne représente pas pour lui une religion mais un terrain de jeu, plein de promesses et d’alternatives. Il sait où puiser, de Retour vers le futur à L’armée des douze singes, et quoi y emprunter pour remplir sa boîte à malices.

Il excelle pareillement dans l’utilisation de son butin, portant le même soin à son rapport au genre et envers le public. Pour l’un comme pour l’autre, Johnson réussit le tour de force de maintenir en permanence un équilibre précaire et donc stimulant entre le respect et le dérèglement. Ainsi, s’il a beau jouer à combiner selon d’improbables liaisons des références de S-F on ne peut plus disparates (en citer plus que ce que je me suis déjà permis de faire suffirait à gâter le plaisir de leur incursion dans le récit, donc je m’abstiens), il traite chacune avec le plus grand zèle et en tire des séquences aussi solides qu’intenses. De même, l’entreprise de manipulation qu’il mène à notre égard est toujours idéalement dosée, ni trop impénétrable ni trop évidente. On parvient toujours à conjecturer à l’avance assez de retournements de l’histoire pour ne pas avoir le sentiment que l’on se paye notre tête ; et dans le même temps, Johnson a tellement de tours dans son sac qu’il garde sans problème plusieurs – bons – coups d’avance.

Quand arrivent les derniers lacets, et que sa machinerie commence à devenir vraiment trop folle au risque de s’effondrer sur elle-même, le cinéaste a là encore la solution. Il se détache, et nous avec, du plaisir cérébral et ludique pour déplacer Looper sur des fondations d’ordre émotionnel, viscéral. Il n’a pour cela nul besoin d’aller chercher très loin, ni de sortir un miraculeux lapin de son chapeau ; il lui suffit de faire tomber le voile, pour laisser rayonner pleinement l’angoisse qui est à la racine de sa sensibilité, et dont de nombreuses manifestations colonisaient le film depuis le début. En particulier, la vision du futur que Johnson nous soumet est aussi sinistre et caustique que l’était sa dissection mortifère du folklore du campus dans Brick. Le monde tel qu’il est devenu dans l’année 2044 de Looper est quasiment le même que le nôtre, à un niveau supérieur d’usure et de déliquescence. Tout y est décrépi, plus injuste, plus oppressant, avec comme maigres contreparties une poignée de gadgets futiles. Ce n’est pas joyeux mais assurément crédible, en plus d’être très bien développé et décrit. À mesure que le film avance, ces idées noires s’emparent des personnages eux-mêmes, quand la seule chose qui fasse que la vie vaille la peine d’être vécue est mise en péril. Cette chose, c’est l’amour – qui ne les rend pas forcément bons, mais souvent dangereux et toujours déterminés. Dans son acte final, Rian Johnson construit autour d’eux un mélodrame radical, d’une pureté déchirante comme l’était celle de L’armée des douze singes. Tout s’y résume au refus de la mort de l’être aimé par-dessus tout, et c’est porté par ce sentiment immense et immatériel que Looper trouve son apogée, laissant derrière lui son ouvrage spectaculaire et échevelé, sans même un regard.

2 réponses à “Looper, de Rian Johnson (USA, 2012)”

  1. dasola dit :

    Rebonsoir, je ne suis pas sûre d’avoir tout compris au film si ce n’est que le personnage de l’enfant est essentiel. N’est-ce pas Joe jeune? Bonne soirée.

    • Erwan Desbois dit :

      [spoiler]
      L’enfant est le futur « Rainmaker », celui qui a pris le contrôle de la mafia en 2074 et renvoie les « loopers » en 2044 se faire tuer par eux-mêmes

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