• Les nuits rouges du bourreau de jade, de Julien Carbon & Laurent Courtiaud (France-Hong Kong, 2009)

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Où ?

A l’UGC Orient-Express, où le film a été relégué dès sa sortie… et où il n’est resté qu’une semaine. Ne reste en cette deuxième (et dernière ?) semaine d’exploitation qu’une poignée de séances sur Paris, pour l’essentiel au MK2 Bibliothèque. Le sort de ce film et celui similaire d’un autre premier film français singulier et vulnérable, La lisière, sorti le même jour et également quasi invisible dès le mercredi suivant, posent de manière aiguë et alarmante la question de la distribution et donc de la visibilité du cinéma français indépendant, en marge des sentiers battus.

Quand ?

Dimanche matin, à 10h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Julien Carbon et Laurent Courtiaud ont l’un des parcours de cinéma les plus particuliers qui soient. Ces deux français sont partis à la fin des années 1990 à Hong Kong proposer leurs services en tant que scénaristes à l’industrie cinématographique locale, avec succès : ils ont travaillé avec des cinéastes prestigieux tels que Tsui Hark (Black Mask 2) et Johnnie To (Running out of time). La trame de leur premier film en tant que réalisateurs, mais toujours en duo, reprend cet épisode. Ce sont en effet deux héroïnes françaises qui, en le pénétrant elles-mêmes, font entrer le spectateur dans un monde hongkongais, rempli de secrets, de dangers et d’objets de fétichisme. C’est ce dernier point qui prime, de loin, sur tous les autres dans ces Nuits rouges du bourreau de jade. Car si l’intrigue à proprement parler démarre par une suite d’arrangements et de trahisons entre trafiquants français d’objets d’art, dont émergent donc Catherine (Frédérique Bel) et Sandrine (Carole Brana), le film fait précéder cela par une séquence d’ouverture ample, particulièrement soignée, qui met en place un autre personnage porteur d’autres enjeux fondamentaux.

Ce personnage est une autre femme, une hongkongaise ; Carrie, soit le même prénom que celui de l’actrice qui l’interprète, Carrie Ng. Cette star du cinéma de Hong Kong dans les années 80 et 90 est le premier objet de fantasme et de fétichisme de Carbon et Courtiaud. Ils lui offrent un rôle à sa démesure, de méchante richissime obnubilée par une quête du plaisir charnel absolu, et mortel. Le début des Nuits rouges… a pour principal objectif de nous montrer de quoi elle est capable, avec une machine S-M de son invention et une jeune et libertine – mais trop candide… – partenaire d’un soir. Objectif atteint, et même dépassé : le personnage nous effraie mais nous éblouit encore plus certainement, comme il éblouit les réalisateurs. Le Graal de Carrie est un poison ancestral, objet dans lequel seraient en quelque sorte réunis Eros et Thanatos. Ce poison a dans le film le double statut de MacGuffin, puis de propulseur des deux morceaux de bravoure de la seconde moitié du récit. Qui dit MacGuffin dit Hitchcock, une autre source d’inspiration et d’obsession pour Les nuits rouges… et ses auteurs. Lesquels, par leurs emprunts, rendent un hommage appuyé et savoureux à la quintessence du cinéma hitchcockien : MacGuffin et prépondérance du méchant donc, mais aussi fascination pour le corps féminin, les sévices que l’on peut lui faire subir, les blondes énigmatiques…

Le jeu de piste gourmand des emprunts cinéphiles déborde des fois, pour aller flâner du côté d’Orson Welles (la pièce aux miroirs de La Dame de Shanghai) ou de Brian De Palma (un split-screen malin qui réinterprète à sa façon Fenêtre sur cour, geste que l’admirateur de Hitchcock que De Palma est lui-même apprécierait). Les nuits rouges du bourreau de jade est animé par le plaisir intense de faire du cinéma de genre, branche fétichiste par excellence au sein du septième art. C’est un film intègre car embrassant pleinement cette composante fétichiste, passionné, et généreux puisque ne cherchant qu’à propager sa passion. Les deux séquences où le poison est employé sont à ce titre exemplaires. La première est une « belle » scène de torture, plastiquement superbe, et surtout sans agressivité ; elle est plutôt guidée par le goût du jeu, et de l’attirance pour l’extrême. La seconde est un avatar d’un motif plus classique, la fusillade dans un lieu clos – ici une maison abandonnée. Le résultat est là encore très engageant, très inventif, et démontre le plus grand respect pour les éléments que le genre requiert pour fonctionner.

Pris dans son ensemble, Les nuits rouges du bourreau de jade est un film dont l’âme réside plus dans ce qu’il évoque que dans ce qu’il expose. La progression du scénario et la caractérisation des protagonistes sont souvent approximatives, ce qui donne à l’ensemble une constitution assez flottante. Mais les forces qui commandent en profondeur les actes des personnages et les inflexions du récit sont au contraire puissantes et captivantes : prévalence de l’organique sur l’artificiel, et de l’ambigüité sur les règles et carcans trop nets. Ce sont là des fondations suffisamment saines pour assurer la bonne tenue du film y compris dans ses moments de faiblesse.

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