• Election 1 et 2, de Johnnie To (Hong Kong, 2005-2006)

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Où ?
A la maison, en DVD zone 2 anglais (moins chers que les français, et avec des bonus conséquents regroupés autour d’Election 1 alors que l’édition française est nue comme un ver)

Quand ?
La semaine dernière et lundi soir

Avec qui ?
Seul

Et alors ?

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le diptyque Election est sûrement le film le plus personnel de To. D’abord car les Triades – la mafia locale – font d’après ses dires
partie intégrante de la vie de tout citoyen de Hong Kong, au moins jusqu’à sa génération ; et en plus car le cinéaste profite de l’occasion pour faire son récit géopolitique sur les relations
entre HK et la Chine continentale, presque 10 ans après la rétrocession. Election est d’ailleurs sûrement la 1ère parabole d’envergure faisant suite à cet événement. La Triade
décrite y représente HK,  et face à elle la police omniprésente et toute puissante (les membres de la Triade sont mis en prison presque selon le bon-vouloir des policiers) joue le rôle de la
Chine. De plus, le thème des élections n’est pas innocent : comme To l’explique dans son interview en bonus – en aparté : pourquoi les éditions françaises de ses films sont-elles
bâclées au lieu de reprendre de tels bonus, excellents ? – il n’y a pas d’élections à HK, mais un système quasi-féodal tel que celui décrit dans le film. En prime, le nouveau statut du territoire
vis-à-vis de la Chine en a fait un simple instrument financier sous tutelle, et a transformé cette féodalité en une brutalité pure et simple. Les personnes au pouvoir n’ont plus de réelles
responsabilités, le business et la quête du profit sont leur seul horizon ; la force de la tradition et de l’histoire disparaît alors à petit feu.

On est donc plus dans le documentaire que dans Le Parrain, malgré l’accroche écrite en gros sur la jaquette du DVD. To a drastiquement adapté son style à cette orientation
nouvelle : exit le grand angle et les chorégraphies virtuoses, place à une captation sobre et sous une lumière neutre – la dernière scène est l’exemple le plus éloquent de cette métamorphose. La
seule facétie stylistique que s’autorise le réalisateur est une musique envoûtante, qui accompagne le récit d’un bout à l’autre presque sans interruption, et qui suffit à elle seule (combinée au
charisme des acteurs) à maintenir la pression dans une intrigue épurée de toute volonté de spectaculaire.

Election 1 raconte une simple perturbation dans le système de désignation du chef de la Triade. Le candidat éconduit (presque trop en phase avec l’air du temps, il pensait que son
argent seul suffirait à acheter l’élection au-delà de son mépris des anciens et de sa surexcitation constante) se rebelle et tente de voler le Sceptre symbole du pouvoir. Cette insubordination
est la source d’une unique scène d’action, un affrontement nocturne dans la rue des 2 factions rivales – presque une gourmandise pour To, qui en fait un ballet fascinant. Avant et après, la
routine de la gestion d’une entreprise étouffe tout débordement – on ne voit même pas dans le film l’ombre d’une des activités criminelles de la Triade.

Le final sauvage (les interventions sur cette scène des acteurs et du réalisateur, qui a choisi la « surprise » plutôt que le « suspense » pour reprendre les
termes de Hitchcock, sont très intéressantes) invalide cette illusion d’une normalisation des Triades. En effet, Lok, le candidat retenu par les doyens prouve alors qu’il n’était en rien plus
respectueux ou respectable ; juste plus malin pour cacher l’inhumanité profonde et l’appât du gain à tout prix qui le définissent réellement. Toute cette violence soudainement déchaînée
règne sans partage dans le volume 2…

Où la guerre n’est plus larvée mais ouverte. Election 2 est tellement linéaire et concentré sur le but à atteindre qu’il ne peut s’analyser que par séquences. Le style
documentaire du 1er épisode y fait encore illusion pendant la 1ère 1/2-heure, tout comme les discussions policées entre chefs ; ensuite, à partir du moment où le mandat de Lok est mis en danger,
le film tourne purement et simplement au cauchemar, où tous les coups sont permis dans les 2 camps. Aux premières 30 minutes calmes succède une période de boucherie où les cadavres s’empilent,
avec des mises à mort de plus en plus barbares qui écœurent jusqu’à la mise en scène. Les plans prennent de la distance par rapport à l’action (larges, désaxés, flous), les dialogues se
raréfient, la musique se fait lointaine puis en sourdine. La vie et l’ardeur quittent le film, remplacées par la stupeur et l’incrédulité face à l’inhumanité qui se propage. En conclusion de ce
mouvement, la séquence de la torture au chenil est une des plus insoutenables de ces dernières années – mais la terreur imprimée à l’écran est visiblement partagée par To ; il n’y a donc ni
tromperie ni manipulation du public, ce qui assure l’honnêteté de la scène et sa puissance.

Ensuite arrive sans prévenir la séquence du basculement du pouvoir – un montage virtuose d’une dizaine de minutes, où To réalise un spectaculaire mille-feuilles de ses influences et plaisirs
cinéphiles. Il mêle le kung-fu (des combats au sabre chorégraphiés avec soin), la comédie chinoise (la présence impromptue et gratuite d’un cercueil, occupé par des vivants, comme objet de
convoitise de tous), et – enfin, après 2h40 de film depuis le début du 1er épisode – Le Parrain de Coppola. Comme pour la scène précédente, mais pour des raisons différentes, nous
voilà complètement scotchés à notre siège. Après ça, tout est dit. Ou presque : il reste un épilogue, calme et détaché, qui revient sur le seul aspect du récit qu’Election 2 avait
jusque là laissé de côté, la parabole politique. A l’instar de tout le reste dans ce film définitivement remarquable, cet aspect fait l’objet d’une séquence superbe, qui explicite crûment la
nature des relations Chine / HK aujourd’hui. Le vrai pouvoir est chez les premiers, les seconds étant réduits au rôle de marionnette qui n’a plus que l’illusion de la liberté.

Pour conclure, petit retour sur l’interview de Johnnie To citée plus haut dans ce texte. Ravi de discuter de son travail, le cinéaste éclaire notre vision d’Election 1 à travers 4
scènes : l’élection biaisée, l’humiliation des anciens de la Triade lors de leur passage en cellule, le rituel suranné et désormais vide de sens de transmission du pouvoir au sein des
Triades et le final. Il détaille également sa manière de fonctionner avec ses acteurs, qu’il utilise pour donner vie à des personnages qu’il a déjà bien en tête, tel un Hitchcock ou un
Loach ; il n’y a donc pas besoin pour eux de savoir le scénario complet, c’est To qui se charge de rassembler leurs performances pour constituer un tout homogène. Enfin, la sélection à
l’époque d’Election pour le festival de Cannes est l’occasion pour le réalisateur d’affirmer l’honneur qu’une telle reconnaissance représente pour lui, car elle va dans le sens de
son ambition de parler aux spectateurs du monde entier, d’avoir lui aussi sa place dans l’Histoire du cinéma.

 

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