• Les apaches, de Thierry de Peretti (France, 2013)

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Où ?

À Cannes, puis à la maison en DVD édité par Pyramide films (sorti le 12 février) et obtenu via Cinetrafic dans le cadre de leur opération « DVDtrafic »

Quand ?

En mai 2013, et le week-end dernier

Avec qui ?

MaBinôme pour le film et seul pour les bonus

Et alors ?

Avec Les apaches, Thierry De Peretti n’emprunte pas que son titre au genre western ; il s’engage dans la réalisation d’un vrai western. On retrouve les codes du genre, appliqués à une situation locale ancrée dans le réel de la Corse d’aujourd’hui. Le fil directeur de l’intrigue est la retranscription fidèle d’un fait divers meurtrier ayant réellement eu lieu, mais sa mise en forme cinématographique épouse d’autres contours, plus fictionnels, emblématiques. Le drame prend place dans une ville anonyme avec ses devantures de magasins, ses quartiers dont les limites épousent parfaitement celles séparant les différents groupes sociaux. Il y a ici les riches « gaulois », notables aux résidences secondaires qu’ils ne visitent que sporadiquement ; les intendants du cru qui gèrent à leur place les affaires au quotidien et assurent avec brutalité le maintien de la hiérarchie ; et le bas peuple, cantonné aux basses œuvres et ghettoïsé – les arabes prenant la place des indigènes indiens et autres immigrés chinois des westerns dans ce rôle dégradant. Les archétypes sont également de mise au sein du groupe de personnages principaux, chacun se voyant attribuer une figure de genre connue : le meneur grande gueule qui ne se salit jamais les mains, le bras droit trop souvent méprisé et de fait le plus prompt à péter les plombs, le suiveur couard et lourdaud, l’outsider que le rêve d’intégrer la bande fait agir en dépit des règles et de la raison… Enfin, toujours en provenance directe du Far West Les apaches ramène des fusils, ainsi qu’un usage de la violence qui est essentiellement menaçant, n’explosant qu’en fin de parcours.

À partir de ces différents éléments, De Peretti compose un récit puissant, tout en franchise et âpreté. Les enjeux sont clairs (une bêtise d’adolescents dégénère en escalade de mauvaises décisions et de coups de sang, forcés par la panique grandissante), les personnages carrés, la logique du pire inflexible. Sans jamais avoir besoin de forcer son matériau, mais en démontrant un beau talent à transformer le réel en fiction, le réalisateur maintient une tension étouffante. Les ramifications sociales de l’histoire sont elles aussi particulièrement bien travaillées. Les rapports délétères entre les individus de classes différentes sont imprégnés à un tel point de passifs qui les dépassent, dont ils sont les jouets plus que les moteurs, que le film n’a nul besoin d’en passer par le discours explicite pour faire passer ses pensées. C’est évidemment une grande force. Le fait divers devient son support, et la sauvagerie des oppositions entre les communautés son levier pour faire naturellement – malheureusement – le lien de la Corse vers le Far West. Mais la démonstration pourrait assurément s’appliquer à n’importe quelle autre région de France. Le seul défaut des Apaches serait en définitive sa modestie. Avant et après son terrible climax De Peretti se contente d’assurer le résultat, comme on le dirait pour un match de foot, alors qu’il a dans son jeu de quoi viser encore plus haut à la manière de Spring breakers, dont il partage le vernis festif et le monde de cauchemar tapi juste en-dessous. Ce sera pour son film suivant ; pour cette fois-ci on se contentera déjà largement du dernier plan pétrifiant qui clôt cette série B nerveuse. Sa violence sourde nous balance en pleine figure l’horreur de la transmission générationnelle de la haine et des inégalités de classe.

Particulièrement fournie, l’édition DVD des Apaches compose un état des lieux exhaustif du travail de réalisateur de Thierry de Peretti jusqu’à ce premier long-métrage inclus. La possibilité de découvrir a posteriori ses deux films précédents, le court Le jour de ma mort et le moyen Sleepwalkers, en fait des brouillons assez peu convaincants en eux-mêmes mais contenant déjà nombre de briques qui, assemblées différemment, font des Apaches le succès décrit plus haut. Dans Le jour de ma mort, ce sont les « 3F » : le fait divers (l’assassinat d’un militant nationaliste), la fête (le bal du village où cela a lieu), le fusil (qui fait une apparition remarquée au début). En dehors de cela le film est pauvre, manquant du temps pour développer sa matière et de la volonté pour se couler dans le moule particulier du format court. Sleepwalkers est déjà plus séduisant, même si encore imparfait. Un changement radical de style – image 4/3, bande-son aux allures de jungle où pullulent les bruits de la Corse – annonce distinctement Les apaches, de même que la place prépondérante de la réflexion sur ce territoire, son histoire politique récente, l’urbanisation décidée de l’extérieur qui la défigure, les télescopages entre les groupes sociaux et ethniques qui y vivent. Dans les meilleurs moments du film, d’intenses scènes de discussions de groupes, cette pensée livrée à l’état brut prend des accents quasi godardiens. Malheureusement, de Peretti leur adosse des séquences d’inspiration très différente (la contemplation asiatique) et au résultat nettement moins maîtrisé.

Le réalisateur se prête au jeu de l’explication de texte sur Les apaches dans deux entretiens, l’un centré sur la scène du meurtre et l’autre traitant du film dans sa globalité. Les deux sont intéressants mais le deuxième l’est évidemment plus, avec l’évocation par de Peretti, entre autres choses, de ses influences diverses (au nombre desquelles la nouvelle The body de Stephen King, qui a donné à l’écran Stand by me) et de la décision aussi tardive que judicieuse d’adjoindre au film une bande-originale électro, composée par le groupe Cheveu. Pour prolonger encore l’exploration on pourra se tourner vers les scènes coupées, même si celles-ci sont bien plus à leur place dans une telle section annexe qu’intégrées au montage final du film. Elles n’en partagent ni le rythme tendu, ni la focalisation sur le drame plutôt que ses à-côtés. Et à une exception près (la scène du dîner), elles n’ouvrent pas non plus sur la part de hors champ des Apaches qui aurait mérité d’être développée : le devenir potentiel ou brisé des protagonistes.

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