• Le mariage de Maria Braun, de Rainer Werner Fassbinder (Allemagne, 1979)

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Où ?

A la maison, sur Arte+7

Quand ?

Dimanche après-midi, il y a dix jours

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Il n’est pas surprenant que Le mariage de Maria Braun compte parmi les films de Fassbinder les plus illustres, car c’est un des plus simples d’accès – sans rien sacrifier pour autant de l’exigence et la provocation propres à l’œuvre du cinéaste. Le mariage de Maria Braun se présente drapé dans un classicisme dénué de toute ironie immédiate : il est ce qu’il affiche être, une histoire de l’Allemagne (de l’Ouest) durant la décennie suivant la fin de la Seconde Guerre Mondiale, contée sous la forme d’une parabole. Fassbinder s’attache d’un bout à l’autre au destin d’une seule personne, Maria Braun, qui trace seule le chemin de sa survie – dont elle compte bien faire une émancipation. Étiré sur plus de dix ans, encombré de mâles se voulant dominants, faisant se succéder la réalisation au long cours de grands projets personnels et les déconvenues soudaines dues à des oppositions extérieures, c’est une déclinaison du mythe de Sisyphe tout ce qu’il y a de plus tragique. Mais que Fassbinder aborde en permanence par le versant de l’ironie, considérant que la tragédie est à ce point écrasante qu’il est aussi légitime d’en rire que d’en pleurer.

Le but n’est nullement cynique (se moquer de tout afin de ne plus être affecté par rien), mais salutaire – garder une part de maîtrise sur un destin trop grand, trop lourd, impénétrable. Le rire jaillit, irrévérent et carnassier, dès les premiers instants où le programme du film est plaqué à l’action de façon transparente. Maria et Hermann se pressent de faire acter leur mariage malgré le déluge de bombes qui s’abat sur la ville, et de la même manière Fassbinder n’aura par la suite de cesse de prendre la mort et la défaite de vitesse, pour arracher à leur emprise un peu de vie et d’espoir. Une flamme impétueuse et truculente nourrit sa création, qui rend d’autant plus beau le fait que ni lui ni son héroïne ne sont dupes quant à la faiblesse des êtres face à la violence du monde. La guerre, puis la prison confisquent Hermann à Maria mais son amour pour son époux reste inaltérable. Pour lui et pour leur hypothétique vie commune, qui n’a encore jamais débuté, elle se donne aux autres ainsi qu’il est attendu d’elle – servitude envers l’occupant américain, puis dévouement à la reconstruction du pays, et dans un contexte comme dans l’autre, parce qu’elle est une femme, l’inévitable offrande de son corps à des amants comme monnaie d’échange et marque de soumission.

Les films de Fassbinder sont presque tous féministes à un certain degré, et Le mariage de Maria Braun a sa place au sommet de la pile. Son personnage éponyme, qui domine parce qu’il laisse aux autres l’illusion que la position de force leur revient, qui plie sans jamais rompre, est exceptionnel de justesse et de force. L’incarnation qu’en donne Hannah Schygulla (actrice fétiche du cinéaste depuis ses débuts) en est le prolongement aussi parfait qu’inespéré. Elle capte et nous renvoie chaque nuance du caractère complexe et bouillonnant de Maria, tout autant que son évolution subtile et sans retour possible au fil des années. Lequel passage des années est orchestré brillamment par Fassbinder, qui se fond avec autant d’aisance dans le genre de la fresque d’époque que dans – par exemple – celui de la science-fiction pour Le monde sur le fil. Faire évoluer l’apparence et l’expression des lieux et des individus par des détails et des ambiances, en somme modeler et manipuler à sa guise la réalité, appartient pour lui au jeu du cinéma. Cette saveur ludique reste en permanence attachée à sa mise en scène, y compris dans les moments les plus dramatiques.

Ici la longue dernière séquence, point d’orgue où tout se rejoint et se dénoue, en surface et dans l’âme du récit, dans un lieu unique comme lors d’un acte final au théâtre. Il faut voir comment Fassbinder tire parti de tout ce qu’il a à disposition, du décor qui trahit l’échec en filigrane de Maria à l’inclusion dans la bande-son de la diffusion à la radio de la finale de la coupe du monde de football de 1954 (opposant la RFA à la Hongrie), événement qui sert de borne terminale à l’histoire. La tragédie reprend le dessus, met fin sèchement aux espoirs illusoires de Maria, et tout de même Le mariage de Maria Braun ne s’achève pas sur une note uniquement triste mais bien plus travaillée – intelligente, désarmante, baroque.

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