• Le départ, de Jerzy Skolimowski (Belgique, 1967)

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Où ?

Au Reflet Médicis, où le film est ressorti en copie neuve

Quand ?

Samedi soir, à 20h, en remplacement de mon plan A (Sogni d’oro de Nanni Moretti à la Cinémathèque, mais présenté dans une salle – trop – petite et affichant complet)

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Jerzy Skolimowski continue à me surprendre à mesure que je remonte le cours de sa filmographie, de Essential killing à Deep end et maintenant ce Départ. Trois ans et un seul film qui ne compte pas vraiment (une commande commerciale que Skolimowski n’a fait que mettre en scène) séparent Le départ et Deep end, et pourtant les deux œuvres portent un regard contradictoire sur une même situation – le passage à l’âge adulte d’un jeune homme, via la découverte du sexe opposé (et donc du sexe tout court). On peut de fait considérer qu’elles forment un diptyque : cas A, avec Jean-Pierre Léaud et Catherine Duport à Bruxelles, tout va bien ; cas B, avec John Moulder-Brown et Jane Asher à Londres, tout va mal.

Ce casting du Départ est l’une des marques les plus évidentes du fort lien de parenté entre le film et la Nouvelle Vague. Léaud et Duport sont en effet les deux acteurs principaux du Masculin féminin tourné par Godard quelques mois plus tôt[1] – choisis précisément pour cette raison par Skolimowski, de même que le chef opérateur du film de Godard Willy Kurant. Le mouvement de la Nouvelle Vague prend ainsi des allures de famille d’adoption pour le cinéaste polonais, déraciné à Bruxelles où il est venu tourner Le départ à la demande de la productrice. Ce film est son premier pas vers l’exil : après le tournage il repartira en Pologne pour un projet de long-métrage dont la censure par les autorités le fera quitter pour de bon son pays. Le départ carbure à l’énergie de la liberté, de l’appel d’air qui accompagne cette première excursion hors du bloc soviétique. Skolimowski filme et monte avec encore plus d’entrain que ce que l’histoire du film le dicte. Léaud est Marc, jeune homme de 19 ans accro aux voitures de course et lancé dans une course contre la montre pour trouver une Porsche afin de concourir dans un rallye. Son travail de garçon-coiffeur lui fait rencontrer Michèle (Duport), qu’il fréquente tout d’abord car il voit en elle une aide potentielle pour parvenir à ses fins. Michèle accepte car elle a un faible pour Marc, ce que ce dernier ne remarque d’abord absolument pas…

Sur la trame de la quête chimérique de la voiture, Skolimowski construit l’enchaînement attendu de saynètes espiègles et fringantes, dont la chute est toujours causée par la maladresse de Marc et/ou sa frousse face au danger. C’est encore un enfant, avec des rêves immenses plein la tête et une profonde impuissance à leur faire prendre une forme concrète. On est pris de la même affection pour lui que celle qui habite Michèle, qui pour sa part est plus mature, plus patiente, plus terre-à-terre. Mais à cette énergie narrative sollicitée par l’intrigue, Skolimowski ajoute une autre forme d’énergie cinétique, facultative et pourtant encore plus renversante – celle qui déborde de sa mise en scène. Le réalisateur polonais perpétue le souffle tourbillonnant de la Nouvelle Vague, multipliant les idées et les contrepieds à chaque plan et dans chaque coupe. Pour cette raison Le départ, en plus de n’avoir évidemment pas pris une ride, est un film incroyablement libre, qui ne se sent contraint par aucune règle, aucune bonne manière. Qui nous embarque ainsi à bord du récit de passage à l’âge adulte peut-être le plus barré qui soit ; le plus joyeux aussi, avec une conclusion épanouie qui sonne comme une évidence. Cet état d’esprit enfiévré et triomphant de la jeunesse ne sera déjà plus de mise quelques années plus tard, dans Deep end – là ces mêmes énergies non maîtrisées mèneront les héros du film à une fin tragique. Dans Le départ, certainement inspiré (enivré ?) par sa propre expérience nouvelle de la liberté, Skolimowski croyait encore en la possibilité d’une issue heureuse. La pensée lui est passée, mais le film auquel elle a donné forme est toujours là pour nous inspirer.

[1] La carrière de comédienne de Catherine Duport se limite d’ailleurs à ces deux films

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