• Histoire de Judas, de Rabah Ameur-Zaïmeche (France, 2014)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Jeudi soir, à 19h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Le ton est donné dès la première scène d’Histoire de Judas : quand ce dernier, emmenant un Jésus affaibli sur son dos, lui lance sans cérémonie « 40 jours et tu es encore lourd à porter ! ». La réplique et la manière dont elle est dite sont parfaitement ajustées, exemptes de toute forme d’égard écrasant vis-à-vis du thème, sans pour autant se priver de jouer sur la connaissance collectivement partagée des faits et gestes de Jésus dans la Bible. Le seul point sur lequel Rabah Ameur-Zaïmeche, qui réalise le film et y interprète Judas, s’éloigne des écrits du Nouveau Testament concerne précisément un éloignement, celui entre Judas et Jésus au moment critique de l’existence du second. Le cinéaste n’adhère pas à la thèse d’une trahison de la part du disciple le plus fidèle et investi. La version qu’il nous soumet est autrement plus tragique, et humaine – car guidée par un hasard fatal (c’est à la pire période possible que Judas se trouve physiquement empêché de venir en aide à Jésus) plutôt que par l’expression moralement réductrice d’une volonté malintentionnée.

Pour le reste, Ameur-Zaïmeche affirme son point de vue personnel en procédant par omissions et non par réfutations. Les actes de Jésus qu’il retient et emploie dans son récit (l’expulsion des marchands du Temple, le pardon de la femme adultère, le lavement des pieds des disciples, le procès mené par Ponce Pilate) n’en appellent à aucune foi ; ils sont terre-à-terre, jamais miraculeux. Ainsi, avec beaucoup de doigté et d’intelligence le réalisateur écarte le fait religieux du champ de son film, et ne regarde plus que des sujets – la question politique, les liens sociaux – sur lesquels les hommes sont face à eux-mêmes, sans recours possible (et/ou encombrant) à un hypothétique élément extérieur. Histoire de Judas arpente donc un territoire voisin de celui des précédents films d’Ameur-Zaïmeche, tels que Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ? et Les chants de Mandrin. Ce qui obsède le réalisateur, c’est encore et toujours sur quelles bases, selon quelles règles agir afin de mettre en place un groupe humain qui fonctionne – et pas n’importe comment ; dans le respect, l’égalité, la justice et la justesse.

Ses ambitions sont de taille, surtout qu’il faut y ajouter la volonté que le groupe ainsi formé s’étoffe en nombre sans connaître de limite – jusqu’à, pourquoi pas, constituer une société. C’est une utopie, mais qu’Ameur-Zaïmeche rattache à juste titre aux utopies originelles du christianisme (via la figure de Jésus) et du communisme (la séquence des marchands du temple, prolongée jusqu’à aboutir à la réplique « nul ne doit être exploité, mis en cage ») lorsque ces deux idéologies étaient encore dans leur état naissant, inaltéré. Détaché de la religion qui fut construite a posteriori autour de lui, Jésus (re)devient un modèle libre d’accès – libre de droits, pourrait-on presque dire – autour duquel Ameur-Zaïmeche met en place une suite de scènes suggérant un chemin à suivre, une façon de procéder pour vivre ensemble. Et il le fait sans oublier d’accorder une attention particulière à la forme cinématographique. Les décors sont de vraies trouvailles, la manière dont il les investit est intense, la mise en scène des événements qui y prennent place est solennelle sans être ampoulée, puissante sans être pompière. Histoire de Judas trouve la bonne position entre le concret et les symboles, le regard pragmatique et l’élan motivé par ce en quoi il croit.

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