• Les chants de Mandrin, de Rabah Ameur-Zaïmeche (France, 2011)

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Où ?

Au MK2 Beaubourg

Quand ?

Mardi soir, à 19h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Je parlais tout récemment de diffusion famélique à propos de La désintégration de Philippe Faucon ; cela vaut aussi pour les films d’autres auteurs français saillants, francs-tireurs non catégorisables de manière commode, et à cause de cela rejetés dans les bordures des circuits de distribution. Ainsi Les chants de Mandrin de Rabah Ameur-Zaïmeche, sorti fin janvier dans une combinaison tout de suite très réduite, et virtuellement invisible moins d’un mois plus tard[1]. On ne peut que regretter vivement une telle diffusion confidentielle, en somme limitée à un cercle d’initiés, pour un film si chaleureux et qui traite justement des formes que peut prendre la transmission des idées au sein de la communauté des hommes. Louis Mandrin était un brigand du 18è siècle, en lutte contre les Fermiers Généraux et devenu après sa mise à mort sur ordre de ces derniers une légende, un symbole de la sédition face à l’oppression du peuple dans l’Ancien Régime. Ses anciens camarades ont alors poursuivi leurs actions de résistance, auxquelles est venue s’ajouter la célébration du nom de Mandrin via des chants et des récits dont le plus connu est La complainte de Mandrin. Ameur-Zaïmeche se place à son tour dans leurs pas, en faisant revivre ce groupe de contrebandiers, leurs gestes et leurs préceptes ; au présent et surtout pas au passé, comme il le dit lui-même.

Visuellement, Les chants de Mandrin nous projette bien deux cent cinquante ans en arrière : les tenues, les mousquets, les calèches, les repas, les instruments de musique… Mais la reconstitution historique n’est jamais pesante, elle n’est pas érigée comme un but majeur du projet, étouffant et asséchant le reste du film. Le principe qui guide Ameur-Zaïmeche et ses compagnons est celui d’un plaisir ludique enfantin, pas d’un sérieux adulte plombant. Ils jouent à faire comme s’ils étaient des contrebandiers en 1750, et cette fantaisie est porteuse d’une allégresse communicative. Sentiment somme toute très rare, d’être projeté très loin – dans le temps – et pourtant de se trouver en terrain parfaitement familier, parmi des gens affables et heureux. On l’éprouvait dans Les amours d’Astrée et Céladon de Rohmer, par exemple. Ici aussi, cette sensation de bien-être est cultivée par l’attachement à des activités simples, naturelles de l’époque recréée, qui viennent alimenter un récit d’une grande sérénité, au relâchement délicieux. On accompagne les contrebandiers dans les bivouacs, les marchés libres (où ils revendent des marchandises achetées hors de France et exemptes des taxes abusives imposées par les Fermiers Généraux), une visite chez un imprimeur pour lui commander la fabrication de centaines de copies d’un recueil de chants à la gloire de Mandrin… Il y a un émerveillement sincère et immense à faire revivre tout cela, frontalement, sans filtre venant instituer un jugement de ce passé au regard du présent.

Les escarmouches avec les soldats font partie intégrante de cet ensemble. Elles sont traitées de la même manière que le reste, ce qui donne aux Chants de Mandrin un côté épopée de poche qui reste compatible d’une véritable intensité quand cela s’impose – les batailles (en particulier l’assaut du donjon pour libérer un des leurs) sont énergiques, violentes. Plastiquement, le film n’est pas non plus une œuvre au rabais. Les cadres et la lumière sont toujours composés avec soin par Ameur-Zaïmeche et la chef opératrice Irina Lubtchansky, de sorte qu’il se dégage des Chants de Mandrin une grande beauté pastorale, distillée toute en finesse. Cette même finesse dont le cinéaste fait preuve dans l’émergence du propos politique de son long-métrage, qui élève celui-ci vers des hauteurs épatantes. De la même manière que les personnages tirent profit de la tribune que constituent leurs marchés libres pour y glisser, entre deux denrées terrestres, de quoi nourrir l’esprit (des livres interdits de Rousseau, Diderot, etc.), Ameur-Zaïmeche déroule en filigrane de sa virée joyeuse dans le Causse Noir une expérience cristalline et étourdissante de la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Sans que cela ne soit jamais dit, imposé, il devient clair au bout d’un moment que c’est selon cette utopie, source de la France républicaine que le groupe de contrebandiers vit et agit. La démonstration par l’exemple est plus forte que cent discours. Elle fait des Chants de Mandrin un grand film français, au sens symbolique de ce dernier terme. Encore plus lorsque la parabole prend un tour sublime, dans la dernière scène, long climax chanté et dansé où elle passe finalement sur le devant de la scène. La complainte de Mandrin est récitée dans son intégralité, face caméra, après quoi le film se clôt sur ces deux répliques : une invitation à la résistance « contre ces gredins qui nous gouvernent » ; et « être hors-la-loi nous oblige à être encore plus vertueux ». Les deux faces d’un programme galvanisant.

[1] idem pour Sport de filles de Patricia Mazuy, sorti le même 25 janvier

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