• Hacker, de Michael Mann (USA-Chine, 2015)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Samedi soir, à 22h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

En dehors du pilote de la série stoppée en pleine course Luck, on était sans nouvelles de Michael Mann depuis bientôt six ans et Public enemies, premier accroc dans sa filmographie après une succession ahurissante de chefs-d’œuvre, ayant contribué en prime à redéfinir l’art cinématographique à l’attaque de son deuxième siècle d’existence. Rien que ça ? Oui, et en à peine plus de six ans – Révélations, Ali, Collateral et Miami Vice ont été réalisés entre 1999 et 2006. Mais de l’invention en état de grâce, Mann a glissé vers le recyclage poussif. Public enemies était en grande partie une resucée de Heat, de manière similaire l’ombre de Miami Vice plane partout sur Hacker. Caractérisation des héros et développement des rapports entre eux (le dernier plan fait de Chris Hemsworth et Wei Tang les nouveaux Colin Farrell et Gong Li, à tous points de vue) ; débordements du récit sur plusieurs continents car les flux – de données, d’argent, de biens – qu’il s’agit de suivre ne connaissent désormais plus de frontières ; sophistication poussée à l’extrême de la mise en scène, laquelle est malgré tout perforée par de brusques retours de cette réalité physique que tout semble pourtant concourir à effacer. Les impacts de balles et le souffle des explosions ne font jamais aussi mal que chez Mann, dans les fusillades-embuscades de Miami Vice comme de Hacker (et avant cela dans les exécutions opérées par le tueur à gages de Collateral).

Le problème, c’est qu’à l’exception de cette séquence de course-poursuite conclue par une fusillade impressionnante et une bascule narrative radicale, qui nous laisse le souffle coupé, tous les ingrédients de Hacker sont moins puissants que leurs équivalents dans Miami Vice. Les personnages et leurs interprètes, la bande-son (capitale et majestueuse alors, plus banalement accompagnatrice ici), le souffle épique des scènes-clés comme des lieux traversés. Miami, La Havane, la triple frontière d’Iguazu existaient de manière quasiment organique ; cette fois Hong Kong, Macao, Djakarta restent à l’état de vignettes touristiques. Quant aux séquences qui devraient être grandes et nous clouer à notre siège, elles génèrent plus d’embarras que d’étourdissement. Hacker semble avoir les ailes rognées par rapport à ses ambitions – son budget est la moitié de celui de Miami Vice, ceci explique peut-être cela –, avec comme anti-climax sa confrontation finale ratée dans les grandes largeurs. Là comme dans les passages tout aussi décevants qui précèdent, à la centrale nucléaire, à la bourse (les deux premières cibles des piratages du méchant), le mal n’est toutefois pas circonscrit à la mise en scène et à ses moyens. Il trouve sa source dans les béances et les fourvoiements du scénario. Le méchant fait peine à voir, et le déroulement de ses motivations donne le sentiment d’avoir été construit à l’envers. Il commence par mettre le monde à genoux (et empoche 74 millions de dollars au passage), pour finalement avoir comme masterplan d’être multimilliardaire – au lieu de multimillionnaire, donc – tel un médiocre méchant de série B sans inspiration, ou bien ce pauvre Dr. Evil dans Austin Powers 2.

Ce qui rapproche également – et fort tristement – Hacker d’une banale série B sans inspiration est sa persévérance à ignorer les sujets brûlants qu’il aborde pourtant. Un accident nucléaire majeur, un krach boursier provoqué par la spéculation, un logiciel chimérique (?) et tout-puissant prêté à la NSA : pour un film sortant en 2015, mettre tout cela à l’écran et le considérer avec dédain, comme s’il s’agissait d’éléments anodins et gratuits, est une faute difficilement excusable. Pas plus qu’elle n’est compréhensible, de la part d’un cinéaste ayant fait preuve d’un regard si acéré sur les thématiques de société qui hantaient Révélations (l’ambivalence des médias, le pouvoir des lobbys), Ali (la lutte pour les droits des Noirs) ou même Miami Vice (la circulation des produits de contrebande, la montée en puissance technologique du « jeu » des gendarmes et des voleurs). Mais il est vrai que déjà, dans Public enemies, la Grande Dépression intéressait inexplicablement peu Mann. En vieillissant, ce dernier se détacherait donc du monde, comme s’il en avait fait le tour avec sa série de films parfaitement aboutis du début du millénaire. Son œuvre se réduit alors dorénavant à sa seule dimension formaliste, ce qui ne peut suffire même si la force brute des images numériques, et de leur montage, est toujours là. Mann est l’un des rares alchimistes à savoir produire de l’énergie à partir de la matière enregistrée par la caméra, et ce don ne se perd jamais. Il se manifeste encore partout au sein de Hacker, dans les mouvements et le découpage, les gros plans et la lumière, les rimes et échos narratifs qui se glissent dans l’écriture visuelle et textuelle. Par bribes, par éclats, le film reste sublime.

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