• Grandeur et suffisance de Breaking bad

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La diffusion de la troisième saison de Breaking bad a démarré sur Arte, tandis que la quatrième s’est achevée aux USA la semaine dernière. Ces deux saisons forment un tout cohérent, un arc narratif – trop – homogène et uniforme que je vais traiter en un seul billet (mon dernier consacré à la série faisait un état des lieux à la fin de l’époustouflante deuxième saison). Au début de la troisième saison, les deux héros fabricants et dealeurs improvisés de crystal meth Walter White et Jesse Pinkman passent pour de bon du statut d’artisans indépendants à celui de simples employés au sein d’une grosse structure, en rejoignant le réseau monté par Gus Fring, le troisième homme de cette nouvelle phase de la série. Gus voit son passé s’étoffer, on lui découvre des proches et des ennemis, un flashback entier lui est même consacré vers la fin de la quatrième saison. Cette émergence, de même que la place plus importante accordée aux amis et aux familles de Walter et Jesse, est une source de renouvellement du show bienvenue, mais qui semble bien être motivée par le manque de meilleures idées plus que par une inspiration réelle générée par ces personnages de second plan.

Les dilemmes de Skyler, l’enquête obsessionnelle de Hank, et donc la lutte de Gus pour le contrôle du marché de la drogue, sont autant de tentatives de combler un vide. Lequel vide est la conséquence du double péché originel du diptyque formé par les troisième et quatrième saisons. Premièrement, une fois les dangers qui rôdaient autour d’eux évacués les personnages se trouvent dans une situation d’équilibre beaucoup trop stable, très difficile à déranger tout en restant dans le – beau – cadre pragmatique et minutieux que la série s’est fixé. Cette exigence empirique d’expliquer chaque étape du parcours des personnages, de donner de la cohérence à chaque inflexion morale ou circonstancielle, et ainsi d’annihiler presque entièrement toute possibilité d’émergence d’un deus ex machina prend des allures de guêpier dont Breaking bad ne sait plus comment s’extraire. C’est une prison dorée qui n’empêche pas la série de fonctionner toujours aussi bien de scène en scène, mais qui lui interdit d’aller chercher le souffle d’ensemble dont elle a besoin. Le second écueil auquel elle se heurte est la quantité astronomique d’argent dont disposent les protagonistes. Là aussi, l’application à la lettre par les auteurs de leur logique ultra réaliste mène inévitablement à la conclusion que quasiment n’importe quel problème se présentant au devant des personnages peut être réglé grâce à l’argent. Ce qui est une chance pour eux devient un réel fardeau pour le potentiel dramatique de la série. D’autant plus que les seuls soucis que l’argent ne solutionne pas, ceux de l’âme, s’inscrivent dans un temps long qui colle assez mal avec le rythme constitutif de Breaking bad, qui détaille chaque jour voire chaque heure.

Breaking bad est toujours la même Formule 1 (les dialogues, l’interprétation, la crudité des situations et des conflits sont largement au-dessus de la quasi-totalité des séries TV actuelles) mais que l’on fait rouler sur un circuit raccourci et privé de difficultés particulières. Alors elle tourne en rond, avec une vitesse et une facilité telles que la répétition et l’ennui relatif pointent inévitablement. Faute de mieux, les scénaristes de Breaking bad font traîner en longueur les quelques idées survenues dans la salle d’écriture et énoncées sur un paperboard qui pourrait – devrait – en contenir bien plus. Ils meublent, en attendant des jours meilleurs tardant à venir. Et dans ce but ils réactivent le pan le moins fameux de leur créativité, cet humour de « petit malin », estampillé « décalé », qui déséquilibrait déjà la première saison puis avait heureusement été étouffé par la densité narrative de la deuxième. Les scripts de séries TV ayant horreur du vide, les saillies comiques roublardes et élémentaires – et toutes issues du même moule – resurgissent pour atteindre chaque semaine la durée réglementaire de 45 minutes sans trop tirer sur la corde fragile des enjeux dramatiques de fond. Ce fonctionnement au ralenti fait que le dénouement de la quatrième saison laisse une impression mitigée. Aussi spectaculaire et renversant soit-il, on ne peut s’empêcher de penser dans un coin de son esprit « Enfin ! ». Enfin des événements que l’on attend depuis au moins une saison entière se produisent, enfin la bien trop longue séquence de la vie des héros au sein du cartel de Gus touche à son terme. Pour sa cinquième et dernière saison, Breaking bad va pouvoir repartir d’une page quasi blanche. Cette plongée dans l’inconnu est particulièrement excitante.

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