• Dark shadows, de Tim Burton (USA, 2012)

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Où ?

Au MK2 Beaubourg, dans la grande salle très clairsemée (il faut dire que le film n’est pas franchement en phase avec la programmation habituelle de ce cinéma, et qu’il passe aussi au ciné-cité les Halles tout proche)

Quand ?

Le mercredi soir de la sortie, à 20h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Combien de temps depuis le dernier film d’importance de Tim Burton ? Seize ans (Mars attacks ! – la réponse « treize » avec Sleepy Hollow est acceptable). Et pour Johnny Depp ? Quatorze (Las Vegas parano – même remarque pour Sleepy Hollow). Autant dire que l’on a appris à ne plus attendre grand-chose venant de l’un et l’autre, et de leurs collaborations qui s’enchaînent ces dernières années. La piètre bande-annonce de Dark shadows, avec son comique de boulevard aussi répétitif que peu inspiré, achevait de laisser craindre le pire pour cette fois-ci. Il n’y a pas de miracle et le film est globalement mauvais, mais comme en définitive le pire n’est pas au rendez-vous, me voilà presque amadoué et agréablement surpris. Mais toujours difficilement consolable de voir Burton avoir dégringolé si bas, et être incapable de se rétablir au niveau qui a été le sien.

Le principal soulagement lors du visionnage de Dark shadows vient de la révélation du caractère mensonger de la bande-annonce maudite. Selon l’expression consacrée, toutes les blagues (ou presque) y ont été regroupées, ce qui pour une fois constitue une bonne nouvelle. Le film n’est que marginalement le médiocre vaudeville que l’on a cherché à nous vendre, et a en réalité un bon fond, tragique. Quand celui-ci est en mesure de s’exprimer sans entraves, on peut même affirmer que le résultat est de qualité. Le générique d’ouverture, à la mélancolie discrète portée par Nights in white satin des Moody Blues, est la scène la plus émouvante et surprenante créée par Burton depuis longtemps. Dans son sillage, la présentation des membres vivants de la dysfonctionnelle famille Collins tient encore la route, de même que l’idée bien sentie qu’en 1972, la lutte vieille de deux cents ans entre les immortels Barnabas (vampire) et Angélique (sorcière) se déplacerait sur le terrain capitaliste. Dans le rôle du premier, Johnny Depp expose toute sa détermination à ne rien changer aux réglages du mode automatique qui régit son jeu depuis le premier Pirates des Caraïbes, pour un numéro de bouffon grimé à l’exubérance superficielle et à la prise de risque nulle. Aucune émotion n’en émane, au contraire de l’incarnation démoniaque d’Angélique par celle qui est la meilleure surprise du film, Eva Green. Avec elle Burton se montre un directeur d’acteurs très inspiré, sachant exploiter pleinement sa personnalité et ses particularités physiques (son regard, son sourire, son visage anguleux) pour produire à l’écran un personnage malfaisant et charismatique, un délice de sorcière – et, accessoirement, le meilleur rôle de la comédienne à ce jour.

Le reste du casting est autrement moins à la fête, la faute à un scénario calamiteux. L’idée directrice semble avoir été de condenser en moins de deux heures de temps l’essence d’un soap opera touffu et ayant dépassé les mille épisodes à cheval sur les années 1960-1970. Une gageure vouée à l’échec, qui tire le projet vers le bas en réduisant le destin de ses protagonistes de second plan au strict minimum : une introduction, une scène de conflit, un épilogue. Leur potentiel, réel, n’est pas du tout exploité alors que dans le même temps, Barnabas et Angélique pédalent dans la semoule d’une haine répétitive bien au niveau, pour le coup, d’un mauvais soap opera. « - Aime-moi ! - Non ! – Si ! – Non ! – Pourquoi ? – Je ne t’aime pas ! – Si, il le faut ! », sans arrêt et sans renouvellement. C’est très irritant, et vain – d’autant plus que Dark shadows fonctionne en vase clos avec ces personnages, sans ouverture sur le monde, sans société en contrechamp. Mais après tout, en son temps Sleepy Hollow était déjà vain et cadenassé, défectuosités qu’il sublimait par sa beauté et son lyrisme ténébreux. Que Burton ne parvienne cette fois pas à renverser aussi majestueusement la situation à son avantage dit tout l’écart entre son niveau actuel et sa splendeur passée. Sans être honteux dans sa mise en forme, Dark shadows n’est pas le choc esthétique que son sujet rendait possible. En partie parce que le cinéaste a toujours autant de mal à domestiquer les effets spéciaux numériques pour en tirer des merveilles comparables à son travail de la matière physique.

Le ton du film pose également problème. Son récit est extrêmement sombre à tous points de vue – exécutions de sang froid, individus dysfonctionnels et brisés par la vie, relations humaines nourries de trahisons et de cruauté – et pourtant il y règne une ambiance décontractée, qui dérange car elle n’est jamais naturelle. Forcée, toujours plaquée artificiellement, elle laisse imaginer des motivations plus commerciales qu’artistiques : ne pas faire un film trop « méchant », trop dérangeant, afin de satisfaire aux exigences accompagnant le statut de blockbuster estival devant toucher un large public et contenter la commission de censure. Ce qui en découle est une réalisation manquant tristement de profondeur, d’âme[1]. Au moins Dark shadows a-t-il le mérite d’embrasser franchement dans sa bataille finale cette condition de spectacle de foire, grandguignolesque et frivole.

[1] La comparaison avec Edward aux mains d’argent est à ce titre très rude

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