• Mars attacks !, de Tim Burton (USA, 1996)

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Où ?

A la Cinémathèque, dans le cadre de la rétrospective consacrée au réalisateur (jusqu’en mai)

Quand ?

Dimanche il y a deux semaines, à 21h30

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Mars attacks ! a un statut à double tranchant dans la filmographie de Tim Burton : à la fois son meilleur film (ou au moins l’un de ses tout meilleurs) et à ce jour son dernier qui soit réellement mémorable, et digne de la renommée qui est la sienne. Mars attacks ! parachevait une décennie de longs-métrages audacieux, inspirés et mordants – Beetlejuice, Edward aux mains d’argent, les deux Batman, L’étrange Noël de Mr. Jack, Ed Wood. Les quinze années qui ont suivi et nous amènent à aujourd’hui sont au contraire une traversée du désert qui n’en finit pas, où Burton, l’inspiration en berne, court après son ombre (Sleepy hollow, Sweeney Todd) quand il ne se soumet pas aux désirs atrophiés et lisses que d’autres projettent sur son art personnel (Big fish, les adaptations « naturelles » de Charlie et la chocolaterie, Alice au pays des merveilles). Mars attacks ! est à la fois un zénith et un requiem.

Comme l’est Jackie Brown (que j’ai récemment chroniqué) pour Quentin Tarantino, Mars attacks ! est aussi pour son cinéaste le film de la mise en retrait la plus marquée en surface. Pas d’inspiration gothique, pas de destin individuel d’un marginal égaré dans son monde intérieur, rejeté par la masse bienpensante et soutenu par Burton ; et pas de création d’un univers visuel globalement singulier, explicitement chimérique. Mars attacks ! est une œuvre de science-fiction semi-réaliste, reposant sur l’irruption dans un monde conforme au nôtre d’un élément exogène avec lequel il faut composer. Ici l’intrus débarque en nombre, c’est une nuée de martiens verdâtres à grosse tête et qui ne viennent pas pour coopérer mais pour tout ravager. Leur allure caricaturale, leurs soucoupes volantes à la forme élémentaire et leurs intentions expressément malfaisantes leur viennent de leur genèse, sous la forme de personnages de cartes à collectionner vendues dans les années 1960. C’était l’époque où la panique anti-rouges (communistes) était à son comble, et que la S-F la travestissait en une panique anti-planète rouge (Mars). Burton garde tous ces signes distinctifs du passé des martiens mais choisit de confronter ces derniers à des humains vivant dans le présent de 1996, avec son mythe du monde libre et uni sous l’hégémonie américaine. Ainsi Mars attacks ! ne se définit pas par rapport à un référent extérieur, qu’il s’agisse d’une époque ou d’un genre. Il écrit sa propre histoire, qui n’est parodique ou référentielle qu’à la marge ; qui est celle d’un film catastrophe au premier degré pensé par un cerveau décalé.

Dans l’irrévérence, la virulence et la fantaisie qu’il déploie, Burton prouve qu’il est plus lui-même (celui des années 80 et 90, avant le ramollissement) que jamais dans ce film. Il prend à bras-le-corps le film catastrophe, exploitant sans atermoiements le potentiel de démesure spatiale, homérique, tragique, inventive, que possède naturellement ce « méta-genre ». Les événements qui s’y déroulent sont si immenses en soi que peuvent prospérer à leur ombre les histoires, les tons, les groupes sociaux les plus divers. Une véritable auberge espagnole, et Burton ne se prive pas pour ouvrir la sienne aux extrêmes. Il s’invite à la Maison Blanche avec Jack Nicholson, Glenn Close et Natalie Portman comme famille présidentielle, s’attarde dans les casinos de Las Vegas où il croise Tom Jones (le vrai) et des boxeurs à la retraite déguisés en pharaons, se perd dans le trou du cul des USA chez une famille de rednecks de la pire espèce, reproduit la war room de Dr. Folamour pour y rejouer le même suspense à la fois désespéré et risible à propos de l’usage ou non de l’arme atomique. Partout c’est avec le même mélange de vitriol et d’absence de déférence qu’il tire le portrait d’une humanité bête, suffisante, superficielle, imbue de sa pseudo toute puissance, qui ne mérite finalement pas mieux que de se faire massacrer de manière si humiliante. Par une armée de créatures difformes d’à peine un mètre de haut, en slips rouges, parlant comme des canards, entretenant un humour cruel de sales gosses terreurs de la cour de récré dans leur maîtrise du camouflage ou de la défense anti-missiles.

Dans son casting mirifique (en plus des noms déjà cités, Pierce Brosnan, Annette Bening, Sarah Jessica Parker, Michael J. Fox, Danny DeVito, Rod Steiger, Jack Black, Pam Grier… – et les caméos de deux cinéastes, Jerzy Skolimowski et Barbet Schroeder), Burton extermine allègrement tout ce qui ressemble même de loin à un membre de la part majoritaire de la population, celle qui est intégrée, souvent florissante, et qu’il abhorre tant pour tout le mal dont elle est capable sans même forcer sa nature. Edward aux mains d’argent, Ed Wood l’ont appris à leurs dépends. Cette fois les rôles sont inversés, de façon aussi abusive que jouissive : les souffre-douleur habituels, les vieux, les noirs, les jeunes rêveurs, seront les seuls à échapper à l’hécatombe qui frappe l’essentiel des effectifs. Lesquels sont suppliciés selon des méthodes toujours plus inventives, et qui échappent allègrement à la censure grâce à leur aspect cartoonesque. Les martiens, délirant bras armé du réalisateur, n’y vont pourtant pas de main morte, corps carbonisés, têtes décapitées, personnages rétrécis et écrasés d’un coup de talon, toujours dans la joie et la bonne humeur (et les caquètements). Burton les laisse s’amuser sur la Terre entière transformée en bac à sable, et quand il se résout à siffler la fin de la partie, c’est par le biais d’une relecture délicieusement absurde du twist final de La guerre des mondes de Wells. Soit le meilleur moyen de combiner hommage au genre et conservation jusqu’au bout de la malice effrontée du film.

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