• Cabin fever, de Eli Roth (USA, 2002)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

A la maison, en DVD

Quand ?

Un jeudi soir, le mois dernier

Avec qui ?

MonFrère et sa copine

Et alors ?

Eli Roth est essentiellement connu pour sa paire de films Hostel 1 et 2, à la suite desquels on est toujours dans l’attente de nouvelles de sa part en tant que réalisateur au lieu de le repérer dans des apparitions dans les films de ses copains (Inglourious Basterds, Piranha 3D). Avant d’avoir l’idée brillante et perverse à la base du concept Hostel, Roth avait obtenu ses premiers galons auprès du public du cinéma d’horreur avec Cabin fever, atteinte aux bonnes mœurs tout aussi fulgurante, corrompue et sanguinolente. Le principe à l’œuvre y est sensiblement le même, qui consiste à tordre l’ossature du genre slasher pour la réinventer sous une forme singulière. Dans Hostel, cela passe par une forme d’institutionnalisation du meurtre, qui décuple les possibilités pour n’importe quel personnage du film de devenir un tueur ou une victime en réduisant drastiquement la liste des conditions à remplir. Dans le cas de Cabin fever, la boucherie généralisée prend sa source dans une cause interne plutôt qu’externe aux protagonistes : un virus ravageur et hautement contagieux.

La démarche de Roth est rendue très intelligente, et donc intéressante, par le fait que le tueur ne se résume ainsi pas à une unique figure, distinctement identifiable et plus aisément éliminable. Tout le monde est un assassin en puissance, beaucoup d’entre eux passent d’ailleurs à l’acte au cours du film ; et, plus vicieux encore, aucun de ceux-là ne le fait de manière entièrement excusable – sous l’effet d’une perte de contrôle, d’un coup de folie, d’une légitime défense… Le virus n’est qu’une étincelle, dont au final personne ne meurt car il se trouve sur le chemin de chaque infecté quelqu’un pour accélérer son décès, et jamais par empathie. Il y a dans chaque meurtre une part appuyée de lucidité, de résolution froide. Ce qui fait évidemment du cinéaste plus qu’un énième petit malin faisant gicler le sang et les tripes avec un minimum de talent visuel et de malice morale. Il est, dans son terrain de jeu borné qu’est le cinéma gore, un portraitiste satirique habile et efficace. Le jeu de massacre de Cabin fever tourne au cercle vicieux sans fin envisageable par la faute de défauts humains vieux comme le monde et omniprésents dans toutes les classes sociales, riches ou pauvres, ainsi que dans toutes les formes d’art, noble ou vil. Son intrigue fait initialement mine de s’appuyer sur les oppositions rituelles jeunes contre vieux, citadins contre ruraux, mœurs légères contre morale stricte, mais son objectif véritable est bien de les dépasser pour aller trouver le dénominateur négatif commun à toutes et tous : un mélange de panique et d’égoïsme qui ne fait pas de quartier.

Roth est assez inspiré pour ériger sur ce canevas une succession de meurtres et autres accidents très variés – aucune redite – et tous très désopilants à voir se dérouler. Car oui, on rigole énormément devant Cabin fever, qui tire le fil de la satire intransigeante et caustique jusqu’à l’extrême. Il y a des tripes et des lambeaux de peau qui éclaboussent sans cesse l’écran1, mais le cœur du film est bien son théâtre de l’absurde et du grotesque dont sont capables les êtres humains. Roth gagne de fait son inscription dans la liste des cinéastes capables de sublimer le genre fortement calibré du teen movie, en étant lui-même suffisamment mature pour faire dire aux actes et aux paroles de ses protagonistes immatures plus que ces derniers ne le conçoivent2. En prime, le ton du film est en complète harmonie avec ce choix de positionnement. Radicalement décalé, il effectue une culbute permanente entre le premier degré sérieux et la moquerie distanciée et outrée ; mais sans s’y égarer et perdre sa crédibilité sur les deux tableaux, ce qui arrive le plus souvent aux petits malins. Je l’ai déjà dit plus haut, Roth n’est pas un de ces petits malins. Son numéro d’équilibriste, réalisé en toute décontraction, quand au ton de son œuvre en est la preuve principale.

À signaler, parmi les bonus du DVD, le très intéressant commentaire audio d’Eli Roth qui s’attarde surtout sur le long processus de production et de réalisation de Cabin fever. Un récit qui rappelle le parcours du combattant vécu par Peter Jackson sur Bad taste, son premier long-métrage auquel le film de Roth fait déjà penser par ses personnages débiles et son goût pour le gore outrancier. Comme Jackson, Eli Roth a dû faire preuve de beaucoup de patience avant d’achever son film (il a écrit le scénario en 1995) mais a pu compter sur le soutien de ses parents et amis pour le financement et la production, où le système D a avantageusement compensé le manque de moyens. Ce commentaire audio se révèle d’autant plus passionnant que Roth a mille anecdotes à raconter sur toutes ces années écoulées entre 1995 et 2004, dont les plus savoureuses sont celles qui concernent ses expériences en tant que figurant ou doublure lumière afin de gagner sa vie tout en étant présent sur des plateaux de cinéma.

1 pour les âmes sensibles (mais que font-elles devant ce film de toute façon ?), le DVD propose une hilarante version censurée « à la main »

2 autre exemple brillant de ce début de 21è siècle : Les lois de l’attraction

Laisser un commentaire