• Brewster McCloud, de Robert Altman (USA, 1970)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

A la Cinémathèque, dans le cadre de la rétrospective consacrée au réalisateur

Quand ?

Mercredi soir, à 19h

Avec qui ?

Deux des trois grands esprits de Kaboom l’émission

Et alors ?

Même en étant au fait du goût d’Altman pour les gestes iconoclastes et déstabilisants, je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi barré en me rendant à la séance de Brewster McCloud. Mis en branle dans la foulée de la tornade M.A.S.H., Brewster McCloud est à l’opposé d’un effet d’aubaine voyant un cinéaste capitaliser sur sa renommée toute neuve (si une telle notion pouvait s’appliquer à Altman, cela concernerait plus son film suivant, John McCabe avec les stars Warren Beatty et Julie Christie). Au contraire Altman y affirme plus férocement encore son altérité et son indépendance, en donnant naissance à une chimère cinématographique : le chaînon manquant entre Les oiseaux et La cité de la peur, élevé sous le patronage du Magicien d’Oz. Le chef-d’œuvre cauchemardesque de Hitchcock vient immanquablement se nicher dans un coin de l’esprit quand se révèle la fine trame du scénario. Autour du héros Brewster, adolescent solitaire obsédé par l’idée de voler pour de vrai, avec des ailes fixées aux bras, rôde un ésotérique personnage, ange-gardien apparemment mi-femme mi-oiseau qui veille à la bonne marche du projet de son protégé – et à cette fin n’hésite pas à tuer de sang-froid les gêneurs.

Les cadavres prolifèrent un peu partout dans Houston, mais dans sa tonalité Brewster McCloud se détache totalement des Oiseaux. Il suit sa propre évolution, nourrie au grain du comique nonsensique et volontiers crétin. Le lien de parenté avec l’humour des « ZAZ » (dont je parlais dernièrement à l’occasion de ma découverte de Police squad !) est manifeste. La modernité et le culot de certains gags nous laissent interloqués, à commencer par les dérèglements infligés aux génériques de début et de fin. On peut aller plus loin encore, et considérer qu’avec Brewster McCloud Altman n’avait pas seulement dix, mais vingt ans d’avance sur son époque. La forte concentration en comique scatologique – la merde d’oiseau qui s’abat sur tout ce qui se trouve à la surface de la Terre, inanimé ou vivant – et sexuel (les jeunes filles redoublant d’efforts pour coucher avec Brewster[1]) établit en effet une passerelle directe entre le film d’Altman et la génération postérieure aux ZAZ, celle des Nuls pour la France.

Avec tout cela, comment se fait-il que Brewster McCloud n’ait pas atteint le statut de film culte ? L’excuse de l’œuvre surgissant de manière trop prématurée et qui déroute plutôt qu’elle n’emporte l’adhésion n’explique à mon avis pas tout. Le film a du mal à tenir la distance, après une première demi-heure survoltée qui nous ballotte de surprise en débordement et accumule les forfaits dans toutes les déclinaisons du mauvais goût. Faute de trouver à se réinventer sans cesse, le récit patine, les gags sont recyclés à la chaîne. Et ils s’usent, inévitablement. Le coup d’éclat d’Altman d’abandonner le scénario et d’improviser avec sa troupe d’acteurs ayant rempilé pour un tour après M.A.S.H. (l’interprète principal Bud Cort et aussi Sally Kellerman, Michael Murphy, John Schuck… à noter aussi, la première apparition de Shelley Duvall) est hardi et ouvre comme on l’a vu sur de belles promesses. Mais l’autogestion[2] a ses limites et le cinéaste, en roue libre, tourne en rond. Il n’approfondit à sa juste valeur aucune des pistes amorcées, qu’il s’agisse du fantastique, des personnages, de l’étonnant décor de l’Astrodome. Son savoir-faire comique présente en plus des faiblesses, qui rendent l’ensemble inégal – la poursuite en voiture est ainsi assez laborieuse. Pour tout dire je me suis surpris à m’ennuyer par moments. Je trouve Altman meilleur quand il a quelque chose contre quoi il doit se battre, des règles qu’il lui faut tordre pour s’imposer, que lorsqu’il est en terrain conquis d’avance.

[1] L’une d’entre elles est carrément montrée en train de se faire jouir – cachée sous un plaid certes, mais l’acte en soi illustre l’ampleur de la liberté qu’Altman s’accorde vis-à-vis du système hollywoodien et de ses tabous

[2] Altman a aussi viré en cours de tournage son chef-opérateur, Jordan Cronenweth, pour le remplacer par le moins renommé Lamar Boren

Laisser un commentaire