• John McCabe, de Robert Altman (USA, 1971)

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Où ?

A la Cinémathèque, dans le cadre de la rétrospective consacrée au réalisateur

Quand ?

Un vendredi soir fin janvier, à 21h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Dans l’ombre du « Nouvel Hollywood », mouvement auquel il n’a jamais été associé pour diverses raisons (pas la même génération, un attachement envers l’Amérique rurale du centre plutôt que les mégalopoles urbaines des côtes…), Robert Altman a lui aussi fait la révolution cinématographique dans les années 1970. Décennie fabuleusement créative pour lui, puisque de M.A.S.H. à Popeye il a signé quinze longs-métrages en dix ans. Tous ne sont pas réussis, à commencer par Popeye qui est à ce qu’il parait un ratage en beauté, mais tous étaient formidablement ambitieux et entreprenants, guidés par l’envie d’inventer des recettes et non d’en réciter des éculées. John McCabe vient un an après seulement après M.A.S.H. (et un autre film s’intercale entre les deux, Brewster McCloud), deux ans avant Le privé et quatre avant Nashville. Respectivement une réinvention du film de guerre, du film noir, du film choral ; au milieu, pour ne pas dépareiller, John McCabe propose une réinvention du western.

De genre en genre, la vision déployée par Altman reste la même : faire dérailler leur froide mécanique en remettant l’humain au centre du jeu, tout en respectant cependant la valeur du dispositif. L’entreprise dans laquelle Altman s’engage tient plus du réaménagement de l’existant que du démantèlement de celui-ci pour ensuite rebâtir sur ses ruines. Dans John McCabe les éléments essentiels du western sont en place, mais à des places chamboulées par rapport à d’habitude. Les pistoleros sont à l’arrière-plan, et les entrepreneurs au premier. Il s’agit d’un homme : John McCabe (Warren Beatty), homme d’affaires et beau parleur qui débarque dans un avant-poste minier des Rocheuses avec l’idée d’en devenir l’édile officieux en y installant un grand saloon doublé d’un hôtel de passe. Et d’une femme : Mrs Miller (Julie Christie), prostituée qui arrive peu de temps après et monte un partenariat avec McCabe, qui la voit s’occuper de la gestion de la partie maison close de l’affaire contre un partage équitable des gains. La balance des tempéraments entre les deux protagonistes rompt avec les canons du western, lui étant faible et séducteur, elle étant forte et clairvoyante.

Le cadre général du film est également à contrecourant de ce qui se fait d’habitude. Cadre narratif : les personnages sont des individualités pleines, dont les ambitions s’inscrivent sur le long terme, et qui en conséquence s’écrivent un destin ayant démarré longtemps avant le point de départ du film et qu’ils espèrent voir se prolonger longtemps après. On est là aux antipodes des schémas classiques du western, qui sont l’arrivée d’un inconnu en ville ou la survenue d’un incident singulier interrompant le cours routinier des choses. Cadre visuel : le décor dans lequel se déroule John McCabe n’a pas la fausseté allégorique habituelle du genre, il est organique, doté d’un caractère tranché – vallonné, tortueux, changeant au gré du climat (boueux ou enneigé). C’est un lieu vivant, tenace, et pour cela le fait de s’y installer, de le dompter est déjà une aventure en soi pour ceux qui s’y attellent. Et donc, un sujet de récit. C’est cette aventure, au long cours et anti-spectaculaire, que filme Altman ; celle de la domestication d’un tel endroit par l’homme, de l’installation d’une société sur une terre sauvage, non pas dans sa portée symbolique mais dans ses développements matériels, quotidiens, terre-à-terre. Il tient la chronique d’une évolution lente, faite d’actions de groupes et de gestes isolés, où la sédentarisation fonctionne telle une sédimentation. Les traits majeurs qui définissent la mise en scène d’Altman font de celle-ci le prolongement naturel de cette intention narrative : des séquences qui s’étirent et n’intègrent que peu de coupes, des plans larges et des focales longues qui embrassent et rassemblent le plus possible d’éléments humains et de décor, l’utilisation d’une lumière naturelle – et de la pénombre allant de pair – qui nous place dans les mêmes conditions que les participants à la scène, hors de notre statut habituel de spectateur extérieur et supérieur.

Dans John McCabe comme dans tous ses films, Altman complète ce travail de l’image par son équivalent sur la bande-son, un domaine dans lequel sa pratique est véritablement unique au cinéma. Le credo d’Altman est celui d’un enregistrement entier des scènes, de tous leurs sons, de tous les dialogues s’entrechoquant, se superposant, se mélangeant. Le résultat est le contraire d’un brouhaha confus, il est luxuriant, sans cesse changeant, toujours excitant. Sa densité nous enveloppe, sa complexité nous engage, interdit toute passivité de notre part. Altman n’a certainement jamais poussé aussi loin la richesse de l’élaboration de la texture sonore d’un long-métrage qu’ici. Et il est marquant de voir que sans changer son fusil d’épaule sur ce point (de même que sur l’aspect visuel), il confère la même puissance immersive au dernier acte du récit, pourtant un pur moment de western classique où le genre et ses codes reprennent le pas sur l’humain. A l’écart de la ville et du regard de ses pionniers, dans une nature redevenue décor symbolique (la neige à perte de vue, d’un blanc aveuglant, menaçant de tout engloutir), Altman signe une somptueuse chasse à l’homme, muette et désespérée, interminable et tragique, qui nous glace le sang. John McCabe se conclut en combinant le meilleur des deux mondes : le western fait valoir ses droits sur les individus pris séparément, mais la communauté dans son ensemble poursuit son essor de manière réaliste, à l’écart du carcan de la fiction.

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