• Watchmen, de Zack Snyder (USA, 2009)

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Où ?

Au MK2 Quai de Loire, dans la grande salle

Quand ?

Jeudi soir, après Lost

Avec qui ?

Mon frère, à qui j’ai offert l’intégrale de l’œuvre dessinée d’origine pour son anniversaire

Et alors ?

Zack Snyder est un bon candidat au titre de détenteur du meilleur job au monde. Il n’a que 33 ans, et pour chacun des trois premiers films de sa carrière de cinéaste, Watchmen
compris, il a trouvé un studio hollywoodien pour lui confier les moyens financiers confortables permettant de transposer à l’écran des œuvres borderline qu’il a aimées durant son
adolescence. Cerise sur le gâteau, il a même droit en prime au sésame du final cut sans pression des dits studios. Snyder fait donc ce qu’il veut, sans batailles budgétaires ou sur le
contenu, et sans trop d’efforts d’écriture non plus puisque tout est déjà là, sur l’étagère de son ancienne chambre d’ado. Bien sûr, il s’agit là d’une petite exagération de ma part, car le
travail à fournir lorsque l’on s’attaque au remake remis au goût du jour de Zombie – Dawn of the dead de Romero (la version de Snyder est devenue L’armée des morts
en VF) ou à l’adaptation des 300 de Frank Miller
n’est quand même pas mince.

Ces deux premiers films avaient beau être enthousiasmants et visuellement remarquables, ils conservaient tous deux une certaine vacuité, tant Snyder se cantonnait volontairement au domaine du
divertissement. Le dantesque, le sinistre, l’apocalyptique sommet qu’est Watchmen se pose donc là comme examen de passage. L’œuvre en douze chapitres d’Alan Moore (au scénario) et
de Dave Gibbons (aux illustrations) repose en effet exclusivement sur trois piliers – la profondeur de l’exploration psychologique des personnages ; la virulence de la charge
politique ; et le morceau de bravoure que constitue la narration explosée entre une demi-douzaine de héros, trois époques et deux planètes mise en place par Moore. Soit pas exactement ce sur
quoi le cinéma américain en général, et Hollywood encore plus, aime à se baser pour créer un film. Zack Snyder avait dès lors le choix entre complètement trahir ce chef d’œuvre unique aux
confluents du comic, du roman et du graphic novel, et prendre le risque de devenir ambitieux, mûr, éveillé au monde (l’expression anglaise « to grow a
conscience »
collerait parfaitement ici).


Le cinéaste a choisi la deuxième voie. Et pas qu’à moitié, son adaptation de Watchmen étant le film le plus immodéré dans ses résolutions depuis Inland Empire. Tous deux partagent la même durée
impressionnante (2h45), conséquence d’un remplissage narratif prodigieux qui accepte crânement le risque de perdre plus d’un spectateur en chemin si telle doit être la contrepartie d’une absence
de concession sur la richesse et la complexité du scénario. C’est bien simple, Snyder et ses scénaristes ont mis dans leur film TOUT ce qui forme la trame du comic (les impasses, qui se
comptent sur les doigts de la main, ne concernent que des points de détail). Pour qui a lu le comic, il n’est pas nécessaire de pousser plus loin la lecture de cette chronique pour
savoir si le film vaut le déplacement. Les autres se rendront à l’évidence de la grandeur de la tâche accomplie, et donc du long-métrage, en arrivant terrassés et abasourdis au générique de fin.
Pour qu’ils attaquent le générique de début avec quelques billes, je vais tenter de tracer les grandes lignes du récit. Watchmen est une uchronie, une histoire qui se déroule dans
une réalité alternative – dans laquelle Richard Nixon attaque son cinquième mandat à la tête des USA. Son moment de gloire est arrivé lorsqu’il a fait gagner la guerre du Vietnam à son pays, en
décidant d’envoyer au front l’arme ultime que détient le pays depuis 1959 : le Docteur Manhattan, un scientifique dématérialisé et rematérialisé suite à un accident nucléaire et qui a
maintenant un contrôle absolu sur la matière, lui permettant entre autres choses de se téléporter n’importe où dans l’univers et de lire l’avenir.


Une autre voie parallèle empruntée par rapport à l’histoire réelle est l’existence, à deux époques distinctes, de troupes de héros costumés décidant de prendre à leur compte le maintien de
l’ordre et de la justice – les Minutemen dans les années 1940, et leurs rejetons les Watchmen deux décennies plus tard. La dénomination de héros « costumés » et non
« super » est fondamentale, car à l’exception du Docteur Manhattan aucun autre de ces justiciers autoproclamés n’est doté d’un quelconque super pouvoir. Ainsi délestés de ce qui leur
sert dans d’autres œuvres de passe-droit pour agir selon des règles différentes des simples citoyens, les héros imaginés tels que dépeints par Moore apparaissent pour ce qu’ils sont
fondamentalement : une espèce énigmatique, aux confluents de positionnements contradictoires. Les Watchmen sont tout à la fois remarquables par leur décision d’agir et de prendre leur
part dans la résolution des problèmes de la société ; douteux dans leur attirance pour le spectaculaire et le retentissement médiatique (les costumes et surnoms, exagérés pour marquer les
esprits) ; et préoccupants dans leurs motivations profondes les menant à occuper la place qui est la leur, qu’elles puisent à une source narcissique ou aussi déséquilibrée que les individus
qu’ils traquent.


Pour toutes ces raisons d’ordre moral et psychologique, Watchmen nous parle encore considérablement même si l’impact premier du fait d’être au présent (sortie en 1987-1988 pour
une action se déroulant en 1985) s’est évanoui. Le groupe des Watchmen peut ainsi tout à fait être vu comme une allégorie des hommes politiques occidentaux modernes, qui répondent eux
aussi aux trois caractéristiques énumérées au paragraphe précédent. Il est même conseillé de faire ce rapprochement, tant le récit lie les actes des Watchmen à des événements d’ordre
politique – la guerre du Vietnam, également la guerre froide entre les USA et l’URSS, des émeutes populaires contre les abus policiers et qui mènent au vote d’une loi proscrivant la pratique des
héros costumés. C’est dans ces circonstances sinistres (au niveau général avec la menace nucléaire, au niveau particulier des Watchmen avec leur bannissement) que l’intrigue principale
de Watchmen prend place. Et il faut donc un considérable travail de rigueur cinématographique pour en rendre à l’écran l’amertume, la brutalité, le désespoir. Zack Snyder s’en
acquitte avec brio, dans une volte-face dont le ton est donné dès la séquence d’ouverture, débat télévisé qui reproduit le rythme lancinant et la laideur visuelle des émissions de ce type dans
les années 80.


L’univers du comic pourrait se prêter à l’épanouissement d’un penchant spectaculaire mal placé mais le cinéaste, tout en signant tout de même un film esthétiquement superbe, n’en fait
jamais une fin en soi mais un véhicule au service du récit. Les individus derrière les masques et leurs sensibilités sont au cœur de chaque tableau qu’il compose avec le plus grand soin, parfois
au moyen de morceaux de musique iconiques (The sound of silence, Unforgettable, Happiness, et The times they are A-changin’ sur le génial générique de début)
utilisés de manière toujours inspirée. C’est grâce à cette discipline que Snyder réussit à donner vie à l’écran à toutes les scènes d’une violence extrême et frontale qui peuplent le
comic (viols, démembrements et autres, jusqu’à l’apocalypse finale) sans jamais tomber dans les pièges du sermon moralisateur édifiant ou de la caution équivoque et nauséeuse des
horreurs exposées. Il voit, et nous donne à voir, comme dans cet enchaînement de séquences particulièrement gonflé et long d’une demi-heure dont le seul but est de nous amener à percevoir la
totale frivolité de deux des personnages, le Hibou et le Spectre Soyeux. La gageure soutenue par Snyder est au final d’avoir reproduit par des moyens de cinéma le regard froid porté par Moore sur
une société au bout du rouleau, qui n’a plus rien ni personne vers qui se tourner hormis des illuminés et des opportunistes tandis que la « Doomsday clock » se rapproche de minuit. Ce travail de copiste exalté débouche sur certaines limites (une fidélité qui
confinerait presque à un sentiment d’inutilité de l’adaptation, un résultat à l’écran qui flirte avec les limites de ce qu’un spectateur peut assimiler et accepter de suivre), mais principalement
sur de franches victoires – l’affirmation d’un réel talent de cinéaste face à l’épreuve d’un défi réputé impossible, la démonstration de la pérennité des Watchmen, et plus
prosaïquement l’apparition d’un monument de cinéma unique, ambitieux, inflexible et déroutant comme peu peuvent l’être.

Une réponse à “Watchmen, de Zack Snyder (USA, 2009)”

  1. camera stylo dit :

    Du très bon film

    Je vous le conseille