• Survivre (The deep), de Baltasar Kormakur (Islande, 2012)

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Où ?

Au cinéma des cinéastes, puis à la maison en DVD édité par Bac films (sorti le 30 septembre 2013), obtenu via Cinetrafic dans le cadre de leur opération « DVDtrafic »

Quand ?

Lundi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Tandis qu’Iron Man 3 fait la razzia prévue au box-office sur la Terre entière, est sorti en France le même mercredi (mais de manière infiniment plus discrète, évidemment) un long-métrage islandais qui ne paie pas de mine mais se révèle comme un candidat très sérieux au titre de film de superhéros de l’année. À l’origine de The deep il y a une histoire vraie, d’un marin ayant réchappé au naufrage du bateau de pêche sur lequel il était embarqué, et qui a rejoint à la nage la terre ferme. Le léger détail qui rend cette aventure particulièrement digne d’intérêt est qu’à la période de l’année où l’accident a eu lieu, près des côtes islandaises, la température de l’eau ne dépasse pas les 5°C. La survie humaine est alors impossible au-delà de quelques dizaines de minutes passées dans l’océan, ce qui condamna tous les pécheurs présents sur le bateau à l’exception de Gulli, le héros du film. Lui est resté dans l’eau glaciale plus de six heures, auxquelles il faut rajouter trois heures de marche à travers une nature hostile pour rejoindre la ville. L’odyssée d’une nuit de Gulli est en somme un miracle, défiant toutes les lois de la physique.

L’auteur-réalisateur Baltasar Kormakur ne s’est pas contenté de s’inspirer de cette histoire ; il la relate le plus minutieusement du monde. À l’écran cela donne un film divisé en trois actes – avant, pendant et après l’épreuve. Tous sont traités avec la même rigueur, car la réalisation et le scénario collent au plus près des faits et des thèmes de chacun. Cet attachement au réel rend The deep singulier, car protéiforme (chaque partie a son rythme et sa tonalité propres) et désarçonnant lorsque, par deux fois, il remet brutalement à zéro les compteurs de ses enjeux. L’exposition, de facture sobrement documentaire, n’affiche pas d’ambition à un second degré de lecture au-delà de la description de l’existence à la dure des pêcheurs islandais. Une tâche dont Kormakur s’acquitte par une suite de scènes concises et carrées, composant un récit tendu à souhait qui nous happe sur presque rien – des gestes et routines communs, des vies passées à lutter presque machinalement contre la rudesse du décor.

Lorsque l’extraordinaire se substitue à cet ordinaire, la transition est soudaine, sans affèteries. Le bateau sombre dans une économie d’effets et une absence de spectacle qui rendent la séquence plus effroyable encore. En une poignée de minutes et sans le moindre retentissement, une demi-douzaine d’hommes sont morts. The deep s’autorise à s’abandonner au lyrisme lorsqu’il ne reste à l’écran plus d’hommes, mais un surhomme. Chaque étape de la survie de Gulli, en mer puis sur terre, est traitée comme un épisode d’un conte légendaire. Au fil de ce périple homérique le geste artistique de Kormakur souligne la puissance souveraine des éléments, la magie impénétrable qui y court souterrainement, l’énergie prodigieuse que le héros doit mobiliser pour résister aux vagues, gravir une falaise, traverser pieds nus un désert rocailleux. L’intensité décuplée des visions rend superflu le recours aux mots, dans cette sidérante parenthèse de pure mise en scène entre deux temps d’apparence plus triviale.

Car The deep ne se considère pas comme achevé une fois Gulli revenu parmi les siens. Au contraire même, d’une certaine manière les choses sérieuses commencent alors seulement, avec l’émergence du besoin de comprendre, d’expliquer rationnellement l’inexplicable. Cette bascule est l’élément le plus téméraire du film, d’autant que Kormakur pousse à l’extrême le retour à une existence banale après cette expérience limite – couleurs sans éclat, lieux impersonnels, protagonistes apathiques. On est déstabilisé un moment, puis l’intention du film s’affirme, éclatante : cette dernière demi-heure condense tout Incassable, au pays de la glace et de la lave. Comme le film de Shyamalan, The deep forge un super-héros en tous points respectueux du genre, avec son trauma d’enfance et l’épreuve extrême révélant son don ; puis il le confronte à la froide et triste réalité du monde. L’incompréhension des autres pousse alors l’être exceptionnel et différent à une solitude accablée par le vertige des implications de ses pouvoirs. Comme Incassable, The deep se clôt seulement une fois son héros exposé aux autres et à lui-même, et se présentant à l’orée de sa nouvelle vie où tout est possible, en bien comme en mal. C’est là une fin ouverte idéale, pour un long-métrage proche de l’excellence.

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