• Prisoners, de Denis Villeneuve (USA, 2013)

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Où ?

Au cinéma La Bastille

Quand ?

Dimanche, à 14h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

La filiation avec Se7en et Zodiac est briguée avec une telle force par Prisoners que son scénariste, Aaron Guzikowski, a certainement dû rêver à un moment que son script finisse entre les mains de David Fincher. Après quantité de désistements (Bryan Singer, Antoine Fuqua…), c’est finalement le québécois Denis Villeneuve (Incendies) qui a récupéré la bête pour sa première réalisation à Hollywood – il y a depuis déjà bouclé un autre film, Enemy, à nouveau avec Jake Gyllenhaal. Ajoutez encore Hugh Jackman en quête d’un rôle l’amenant aux Oscars comme candidat plutôt que présentateur, et vous avez en Prisoners un long-métrage où tout le monde ambitionne de prouver quelque chose ; et ainsi de pouvoir brandir à l’avenir ce film comme carte de visite imparable. Ce qui n’aurait rien de honteux car il comporte des qualités certaines, en nombre tout aussi certain. L’application dans la mise en scène glauque et pluvieuse (qui s’appuie sur la photographie puissante de Roger Deakins), comme dans les interprétations de comédiens investis et performant(s), en fait partie. Ce que Prisoners a de meilleur à offrir se trouve néanmoins dans son scénario – là même où siègent également ses vices embarrassants et retors.

Prisoners cherche ostensiblement à ne déplaire à personne. Ce qui, dans son contexte, consiste à vouloir satisfaire aussi bien les personnes qui considèrent qu’un fait divers est sa propre finalité, avec ses drames et son dénouement propres ; et celles pour qui au contraire un fait divers n’est qu’une anecdote, un symptôme permettant d’ouvrir la porte d’une réflexion sur des problématiques humaines plus vastes et générales. Guzikowski rend le clivage on ne peut plus net en choisissant le modèle de fait divers qui choque le plus notre époque, les abus (enlèvement, pédophilie, meurtre) faits aux enfants innocents. Pratiquant un art de la synthèse à tout prix, à faire pâlir d’envie jusqu’à notre Président pourtant rompu à l’exercice, Guzikowski prend soin de donner à chaque camp de quoi se sentir renforcé dans la position morale qu’il avait en entrant dans la salle. C’est en partie pour cela que le film dure si longtemps (deux heures et demie). Chaque ajout même léger allant dans un sens nécessite une compensation, de façon à rééquilibrer la balance d’un script obnubilé par l’idée de conditionner notre regard. Tout ce qui dérange est écarté du champ de vision, dans le but de maintenir un contrôle total et permanent sur ce que l’on est en mesure de percevoir et interpréter de l’histoire qui nous est contée.

Ainsi Prisoners « nourrit la bête » de la psychose contemporaine sur les dangers qui guettent nos chères petites têtes blondes – le monde qu’il décrit est rempli de prédateurs à l’affût, il semble impossible de ne pas se trouver sous leur menace. Et cependant le film en lui-même ne se laisse pas aller à la panique sur ce sujet, dont il se sert essentiellement comme prétexte à une remarquable étude de caractères humains. À la manière d’une tragédie classique, chaque protagoniste se voit attribuer une fonction archétypale, qui à ce titre mérite l’emploi de la majuscule : le Père de la victime, le Représentant de la loi, le Suspect idéal, le Lâche voisin, etc. La richesse de Prisoners vient de sa faculté à ne pas laisser ces rôles se figer une fois pour toutes. Il rebat régulièrement les cartes entre les personnages, à l’insu de ces derniers et sans souffrir de limite quant aux permutations qu’il est permis de réaliser ou non. De victime à suspect, de modèle à fautif, de chasseur à chassé (et inversement, dans chaque cas) la roue tourne, mue par la puissante ironie de la condition humaine, dont nous sommes les jouets et que le film manie avec talent.

Deux exemples de cela : le personnage de Hugh Jackman qui, à des fins de séquestration et de torture, se retrouve à faire dans la maison en ruines léguée par son père les travaux qu’il remettait sans cesse à plus tard ; le dénouement, qui voit le coupable attrapé par un policier venu en pensant avoir affaire à une victime à qui il doit annoncer une triste nouvelle. Car oui, il y a une résolution du mystère au bout du labyrinthe de fausses pistes et de digressions de Prisoners, alors même que l’on sent chez le film une envie forte de marcher dans les traces de Zodiac et The pledge, en laissant les personnages à une frustrante mais réaliste impuissance – on ne peut avoir réponse à tout. Sur le plan de l’intrigue (trouver le coupable ou non) comme sur celui de l’éthique (la loi du Talion ou les lois de la société) Prisoners ménage donc toutes les sensibilités, ce qui me pose problème. Ce genre de manœuvre roublarde n’a à mon sens pas sa place dans un film voulant aller au-delà du simple divertissement, en traitant de morale de manière sérieuse.

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