• Poulet aux prunes, de Marjane Strapi & Vincent Paronnaud (France, 2011)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Mardi soir il y a dix jours, en avant-première

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Sur le coup, on ne se doutait pas. On n’imaginait pas qu’en évinçant Caro et sa noirceur, et en rendant ainsi son imaginaire poétique et manipulé numériquement appréciable par le plus grand nombre, Jeunet allait avec Le fabuleux destin d’Amélie Poulain provoquer le retour en grâce du genre honni de la « qualité française ». Cette hydre cinématographique nuisible délogée en son temps par la Nouvelle Vague reparaît régulièrement depuis lors, et sa dernière régénération en date en ce début de nouveau siècle est particulièrement vivace autant que vorace. La « qualité française » au cinéma, c’est un lointain parent indirect de l’art rococo qui dispose de moyens financiers conséquents et les dépense dans une parade immodérée de babioles ostentatoires : décors de studio factices et surchargés, casting cinq étoiles, effets de manche formels à tout-va, et maintenant donc les inévitables effets spéciaux numériques qui viennent s’ajouter au trop-plein. La devanture est alors aussi clinquante que le contenu du film, dont le seul objectif est de brosser le spectateur dans le sens du poil, est dénué d’intérêt.

Poulet aux prunes est un pur produit de ce moule. Comme tous ceux de son espèce, il le doit principalement à une incapacité à emprunter une autre voie créative (ou même plusieurs). La qualité française est toujours quelque chose qui vous tombe dessus par défaut, qui vient remplir un vide… Contrairement à leur précédent Persepolis, qui disposait d’une idée directrice forte de mise en scène – le noir et blanc, le style graphique minimaliste –, le Poulet aux prunes du duo Satrapi-Paronnaud se cherche en permanence et se perd en tâtonnements jamais convaincants. Pour ce qui est sa deuxième adaptation d’un de ses propres romans graphiques[1], Satrapi a voulu faire le grand saut du passage aux prises de vue réelles, et donc des acteurs réels eux aussi. Mathieu Amalric interprète le héros Nasser Ali, violoniste virtuose ravagé par la destruction de son instrument et qui, dans son désespoir, décide d’en finir avec la vie. Autour de lui, le casting est tout entier estampillé « décalage savoureux-chic-haut en couleurs-irrésistible » mais les personnages ne suivent absolument pas. Les hommes, Édouard Baer, Jamel Debbouze, n’ont rien d’autre à faire que cabotiner, et les femmes traversent le film comme des ombres, coincées dans des rôles sans la moindre consistance dont le pire est le stéréotype (qui comme la qualité française, renaît sans cesse de ses cendres) d’épouse castratrice et hystérique interprété par Maria de Medeiros.

Le film de Satrapi et Paronnaud manque sa cible car il n’est jamais sûr de la forme qu’il souhaite prendre. Officiellement mise à la porte du projet, la bande-dessinée y revient par toutes les fenêtres, tous les interstices. Les arrière-plans et les scènes de transition sont dessinés, de même que certaines saynètes enchâssées au fil du récit. L’humour repose fréquemment sur des gags de comic strip, à l’image de l’enchaînement des idées de tentatives de suicide de Nasser Ali que l’on retrouve dans la bande-annonce. De façon plus globale, c’est tout le rythme de Poulet aux prunes qui suit un tempo d’album dessiné, avec des haltes brusques fréquentes au passage d’une section à une autre qui font plus penser à l’action de tourner une page qu’à une transition fluide et pertinente de cinéma. Poulet aux prunes est une compilation d’historiettes cloisonnées dans des cases pour les plus courtes, dans des pages pour les plus longues, qui ne fonctionne jamais comme un tout harmonieux. Il n’y a pas de vie dans ces cases. Il n’y a pas le liant qui assurerait la transformation de l’œuvre de papier en un film, essentiellement car Satrapi et Paronnaud dilapident d’un bout à l’autre le potentiel des enjeux dramatiques de leur intrigue (le mal être de Nasser Ali, son grand amour sacrifié) en les exposant trop vite et trop mal. Ceux-ci se diluent dès lors dans la nébuleuse brouillonne qu’est Poulet aux prunes, comme tous les autres ingrédients. A force de vouloir tout mélanger sans discernement, le réel et le conte, le drame et la comédie, l’orient et l’occident, les auteurs-réalisateurs aboutissent à un résultat indigeste, d’où ne ressortent que les saveurs les moins agréables. Soit, en plus des personnages insipides déjà cités, un imaginaire visuel très pauvre, du surgelé/dégelé prêt à consommer ; et des émotions souvent à côté de la plaque par excès de précipitation, dans un sens – le mélo amoureux bâclé dans les dix dernières minutes – comme dans l’autre : le sketch parodiant les sitcoms et raillant la middleclass américaine est navrant d’agressivité et de suffisance.

[1] sur deux films réalisés ; il va peut-être falloir passer à autre chose…

Laisser un commentaire