• Nouvelles séries américaines, collection automne-hiver 2011 (2/3) : Homeland

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Homeland s’attelle elle aussi à pervertir les USA, mais de l’intérieur, insidieusement, comme une tumeur maligne plutôt que comme la maladie de peau dégueulasse et envahissante infligée par American horror story. Ce remake d’une série israélienne, dirigée par deux anciens piliers des X-Files Howard Gordon et Alex Gansa, raconte le jeu du chat et de la souris qui s’instaure entre Nicholas Brody (Damian Lewis), soldat retenu prisonnier par Al-Qaïda pendant huit ans et miraculeusement libéré, et Carrie Mathison (Claire Danes), agent de la CIA persuadée que Brody a changé de camp et est l’instrument d’un attentat terroriste en gestation. Homeland est l’héritier tout désigné de 24, et comme tout successeur doué et ingénieux il cultive et trahit à la fois ce legs. Dans son premier degré de lecture, celui du suspense, de l’action, des enquêtes, la série reproduit avec la même efficacité les recettes arrêtées et éprouvées par son aînée. Fausses pistes, doubles jeux, renversements soudains de situations solidement établies, révélations de fin d’épisodes se succèdent selon un rythme savamment dosé pour nous mener par le bout du nez tout en nous laissant l’illusion du contraire. Homeland excelle à jouer sur son masochisme de spectateurs pour nous rendre accros et impatients de connaître la suite des événements.

Dans son propos de fond, Homeland est l’anti-24. Elle prend acte de l’échec des doctrines simplistes et arrogantes à l’œuvre dans celle-ci, et ne cherche nullement à atténuer la douleur et la ruine qui ont été leurs seuls accomplissements. En résumé, c’est une série des années Obama, qui fait suite à une série des années Bush ; une série sur une époque qui a une sévère gueule de bois et s’attelle à préserver ce qui peut encore l’être, à sauver les meubles en ce qui concerne l’unité nationale, l’espérance, la vision d’un avenir commun et meilleur. Mais sans y croire franchement elle-même, en étant plus habitée par la panique de tomber encore plus bas que par la conviction qu’elle va remonter la pente. Homeland enregistre avec acuité l’air dépité du temps présent. Le constat correct a enfin été établi, non pas d’un chimérique choc des civilisations mais de leur altérité, avec pour noyau commun une douleur sourde et inextinguible. La cellule « terroriste » sur laquelle Mathison et la CIA enquêtent n’est ainsi pas motivée par la haine et la barbarie mais par l’affliction et le deuil – chose que la série met un point d’honneur à nous faire ressentir, et qu’elle parvient à accomplir de façon remarquable.

Mais il y a un gouffre, aujourd’hui infranchissable, entre le bon constat et la découverte de la réponse adéquate à y apporter. L’Amérique de Homeland et son bras armé la CIA sont conscientes de leurs erreurs passées mais impuissantes à les conjurer, à interrompre la progression de leurs conséquences désastreuses. Une profonde déprime transpire de la série, à voir ces agents avoir toujours un temps de retard, n’exercer aucun contrôle sur la situation, être quasiment réduits au rang de spectateurs. Subir la revanche de leurs adversaires, le renversement du rapport de forces. Ce dernier est douloureusement exprimé par le fait de voir la CIA avoir pour unique atout solide un être providentiel mais ingérable, esprit génial mais déséquilibré (l’épisode où Carrie reconstitue l’enchaînement complet des événements depuis l’enlèvement de Brody, au prix d’un effort surhumain et de l’explosion de ses névroses, laisse sans voix), Cassandre de la légende projetée à l’époque moderne. L’hypothèse d’un nouveau messie comme seul rempart à l’organisation sans failles des « terroristes », et la constance dont chacun de ses membres fait preuve dans la tenue de son rôle précis. L’issue du duel laisse peu de place au doute…

La progression narrative du complot est lente mais assurée, son étau se ressert peu à peu et nous asphyxie. Son venin pénètre de plus en plus profondément au sein du modèle de l’American way of life à mesure que la saison avance : c’est d’abord une zone pavillonnaire typique qui sert de couverture, plus loin un magasin situé nulle part ailleurs qu’au quasi lieu saint de Gettysburg dans l’arrière-salle duquel on fabrique des gilets pour kamikazes – le symbole est sidérant. Le paroxysme est atteint comme il se doit dans l’épisode final, où l’attentat se joue dans un bunker (soi-disant) de haute sécurité. Peu d’œuvres, à la télévision mais aussi au cinéma, ont réussi au cours de ces dernières années à atteindre un tel niveau de tension, solidement tenu pendant une heure entière, absolument irrespirable. Après cette démonstration, il est regrettable que l’exigence de préparer le terrain à une nouvelle saison fasse retomber ce vent de panique dans les dernières minutes du final. La modération l’emporte soudain sur la déraison, sans nous convaincre que ce soit la bonne voie. Avec sa nouvelle redistribution des cartes, la saison 2 de Homeland s’augure moins palpitante – comptons sur ses auteurs pour me faire mentir.

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