• Les stagiaires, de Shawn Levy (USA, 2013)

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Où ?

Au MK2 Bibliothèque

Quand ?

Lundi, à 18h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Dans l’histoire récente d’Hollywood, Les stagiaires est un des films où la présence à l’écran du cahier des charges commercial est la plus massive. La formule habituelle « placement produit » est trop faible pour être applicable ; il est plus juste de parler de « placement film » au sein d’un long-métrage à visée publicitaire, dans le cas présent pour Google. D’un bout à l’autre Les stagiaires est envahi par l’image de la marque, sous sa forme visuelle (logo, code couleur) mais aussi matérielle (on vient tourner dans les locaux de l’entreprise) et même conceptuelle : l’essentiel des slogans brandis par la société, à commencer par l’inénarrable « améliorer la vie des gens », ont droit à leur déclamation tels quels par l’un ou l’autre des personnages. Les stagiaires remplit son devoir avec application, qu’il ne faut pas confondre avec de la conviction. Car si Google est certainement satisfait de la fidélité du reflet que lui renvoie le film, ce dernier n’est lui pas dupe quant à la nature réelle et déplaisante de son client. Sans jamais être à charge, en se contentant de regarder ce qui l’entoure, Les stagiaires émaille son récit de marques caractéristiques de la propension de Google à jouer à Big Brother.

Les paroles lénifiantes qui endorment l’esprit, et la perfection de façade qui flatte l’œil, sont le vernis apposé sur une entreprise véritablement totalisante ; qui infantilise ces affidés – les casquettes, le toboggan, le dortoir pour la sieste – afin de maximiser son contrôle sur eux. Google sait tout, affiche tout (la publication sur l’intranet de l’existence passée et de l’agenda présent), ordonne tout selon un règlement puritain à l’extrême. Toute l’intelligence du film est de ne jamais souscrire à cette vision effrayante du monde, qu’il prend toujours à contrepied avec une grande finesse. Par exemple quand le personnage en charge du monologue le plus saillant à la gloire de Google, et de sa mission soi-disant humaniste, le prononce alors même que sa parole n’a plus aucun poids, car on vient de nous dire que sa vie personnelle était un fiasco complet. Ou bien dans cette scène de présentation des commandements rigoristes de l’entreprise – ne pas emporter avec soi de la nourriture prise à la cafétéria gratuite, ne pas boire entre collègues, ne pas coucher entre collègues (« we say ‘no’ to love ») – au cours de laquelle Les stagiaires a à cœur de nous placer du côté de ceux qui rejettent ces règles ; assurant ainsi notre compréhension du profond ridicule de la chose.

Ils sont deux à fonder ce front du refus, sourd aux injonctions de Google – Nick et Billy, Owen Wilson et Vince Vaughn. Vers le début du film, le second a cette réplique à l’intention d’un nerd (qui ne la comprend évidemment pas) : « Je serai ton William Holden dans ‘Stalag 17’ ». La référence au film de Wilder est plus qu’un clin d’œil humoristique, elle a valeur d’annonce du programme à venir. D’abord car l’histoire des Stagiaires a quelque chose de « wilderesque », avec son duo comique fabuleusement complice, profondément humain (la sincérité avec laquelle Wilson et Vaughn assument d’être has been est très belle) bien que confronté à des péripéties improbables (qui peut sérieusement croire à ce conte de quarantenaires nuls en informatique sélectionnés par Google ?). Ensuite parce que, comme les soldats de Stalag 17, Nick et Billy multiplient les actes de résistance clandestine et jouent activement leur rôle de grain de sable improbable infiltré dans la machine autoritaire. Google aspire à se rendre indispensable dans la vie de l’humanité, eux ambitionnent à l’inverse de réinjecter dans Google une part d’humanité ; d’organique. Pour bien montrer qu’ils ne sont pas gratuits, mais s’inscrivent dans une démarche solide, leurs forfaits sont chargés d’une énergie subversive inhabituellement franche dans un film de ce genre.

Ainsi, le sexe va paraître sous sa forme romantique (le flirt de Nick avec une employée), mais aussi et surtout récréative lors d’une virée dans un club de strip-tease et lap dance, qui donne lieu à une longue séquence n’ayant absolument rien de glauque ou malsain, mais bien entièrement radieuse et hédoniste. Lors de la conclusion un autre plaisir charnel va être convoqué, la nourriture. Un cheminement narratif malin amène les héros et leurs premiers compères résistants à distribuer des pizzas, à l’occasion de la proclamation des heureux élus dont le statut passera de stagiaire à employé. Ils ne se contentent pas de faire passer les cartons à pizzas ; ils lancent carrément les parts dans l’assistance. La nature organique de la nourriture est affichée crûment, comme l’est en face la rigidité drastique et déshumanisée de l’ennemi Google. Sur l’écran géant devant lequel évoluent les personnages dans cette scène, s’affiche une composition de lignes droites et de couleurs primaires qui évoque fortement les abstractions géométriques, épurées de tout souffle de vie, de Mondrian. Les pizzas vs. Mondrian : l’opposition est aussi improbable que frontale. Elle conclut idéalement l’opération, plaisante et légère, de noyautage et dérèglement d’un empire.

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