• Les pirates ! (bons à rien, mauvais en tout), de Peter Lord (USA-Angleterre, 2012)

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Où ?

Au MK2 Gambetta

Quand ?

Jeudi soir, à 22h

Avec qui ?

MonFrère

Et alors ?

Pour ceux qui ont découvert les courts-métrages Wallace & Gromit à leur sortie au milieu des années 1990, en cassette vidéo (oui monsieur) ou en salles[1] pour les chanceux, le nom du studio Aardman reste définitivement associé à ces trois bijoux animés en pâte à modeler – Une grande excursion, Le mauvais pantalon et Rasé de près. Alors leur passage au long-métrage depuis l’an 2000 et Chicken run, sous patronage et financement hollywoodiens, garde une infime pointe d’amertume de les voir consentir à un certain formatage mainstream pour plaire aux producteurs qui pensent savoir ce qui plait au grand public. Les embardées délirantes et les démonstrations virtuoses de nonsense qui distinguent les gens de chez Aardman sont toujours là mais elles sont quelque peu lissées, canalisées dans des récits aux points de passage clairs et obligés : héros conquérant, montages musicaux, scènes d’action spectaculaires. Cela vaut même pour la transposition sur 90 minutes des aventures de leurs héros fétiches, dans Wallace & Gromit : Le mystère du lapin-garou. Une rencontre, avec l’écrivain Gideon Defoe, vient bousculer ce cycle routinier et confortable et faire des Pirates ! le meilleur long-métrage du studio à ce jour ; le plus proche de l’esprit de liberté et d’insouciance de l’époque des courts.

Gideon Defoe est l’auteur de la série de livres à l’origine du film (dont il a aussi signé le scénario). Les personnages principaux sont un équipage de pirates à la manque, n’ayant pas de noms mais uniquement des signes distinctifs – le pirate avec un foulard, le pirate avec la goutte, etc., et bien évidemment à leur tête le Capitaine Pirate, le plus incompétent et idiot de la bande. Chacune de leurs aventures, prenant place au 19è siècle, les fait croiser des sommités de l’époque prise au sens large : un coup Napoléon, un coup Marx et Engels, ici ce sont Darwin et la reine Victoria qui sont mandés pour une histoire de dernier dodo en vie, que tout le monde souhaite s’accaparer. Via la prose extravagante de Defoe, la troupe Aardman menée par le réalisateur Peter Lord renoue pleinement avec l’humour absurde et n’ayant de respect pour rien ni personne, so british, dont leur Rasé de près était un sommet. La blague fondatrice de ce dernier était un déguisement minable (un pingouin coiffé d’un gant Mapa pour se faire passer pour un poulet) auquel tous les autres personnages croyaient. L’essentiel des gags des Pirates ! est de cette espèce, avec la même spontanéité, la même incongruité, la même verve. Qu’il s’agisse de bousculer l’intégrité des époques, des grandes figures tutélaires du royaume, ou de la logique elle-même, le film est toujours partant et toujours entraînant. Toujours intelligent, aussi, dans ses effets de mash-up temporel (objets et manières du 20è siècle plaqués cent ans plus tôt) et de name-dropping qui ne servent pas de paresseuse recette pour solliciter une connivence immédiate du public mais sont le fruit d’un véritable plaisir à pratiquer le rire mi-stupide mi-sophistiqué.

Si Les pirates ! fait évidemment penser au jeu vidéo culte Monkey Island, pour l’univers, les trognes et le décalage permanent, je serais enclin à le rapprocher plus encore de Sacré Graal !. Référence burlesque écrasante mais à côté de laquelle Les pirates ! fait bonne figure, dès la présentation de l’équipage au cours d’une « soirée jambon » dont la folie douce rappelle le numéro chanté et dansé à Camelot dans le film des Monty Python. La suite est du même tonneau (de rhum), qui dévale la pente sans tolérer de temps mort et a même tendance à accélérer sans cesse pour les déjouer, à grands renforts d’ellipses soudaines et de bonds de côté irrationnels. La route en zigzag du récit croise entre autres aberrations un prix de pirate de l’année remis façon Oscars, des monstres marins surgissant là où ils sont dessinés sur les cartes, un singe domestiqué qui s’exprime avec des cartons de cinéma muet. Elle trouve son point culminant dans une fabuleuse séquence à l’Académie royale des sciences, où le choc des mondes et des clichés comiques entre pirates et savants produit un feu d’artifice brillamment entretenu par les idées idiotes des auteurs du film.

[1] au sein d’un programme de courts-métrages qui reste comme l’un des derniers à avoir connu tant d’écho et de succès lors d’une diffusion au cinéma

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