• Les immortels, de Tarsem Singh (USA, 2011)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Vendredi soir, à 22h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Tarsem Singh appartient à la famille des faiseurs extravagants de clips et de pubs, qui de temps en temps viennent déployer leur imagination visuelle immodérée à l’échelle d’un long-métrage de cinéma. Les immortels n’est que le troisième pour Tarsem, dix ans après The cell (qui avait un peu fait parler de lui, pour la présence de Jennifer Lopez) et cinq après The fall (qui avait beaucoup moins, voire quasiment pas, fait parler de lui). La cause de cette rareté, refus répétés de la part du réalisateur, ou pénurie de propositions qui lui sont faites, reste floue ; mais la seconde solution n’est pas invraisemblable. Contrairement à la majorité de ses pairs clippeurs, quand on lui confie un projet de film Tarsem ne fait pas d’effort pour s’ajuster et remplir son contrat – mettre son savoir-faire au service de l’histoire et des personnages qu’on lui a mis entre les mains. Lui fait précisément l’inverse. Il utilise l’intrigue comme un catalogue dans les pages duquel il pioche des séquences, des lieux, des actions à même de lui inspirer des compositions picturales délirantes et rejetant tout sens de la mesure.

La suggestion qui suit n’est pas méprisante mais tout à fait sérieuse : Tarsem devrait réfléchir à l’opportunité de s’en tenir à des scripts de navets en puissance pour lui servir de bacs à sable. Il y en a des dizaines (centaines ?) qui dorment dans des tiroirs à Hollywood, ils sont par nature beaucoup plus propices à l’outrance et au capharnaüm que les films à visée plus sérieuse, et par ricochet sur ce genre de projets le metteur en scène a plus souvent les coudées franches pour n’en faire qu’à sa tête. Les immortels est un cas exemplaire. Sur le papier, ce n’est ni plus ni moins qu’un péplum 2.0 au lyrisme boursouflé et vain, courant après le succès de 300, par le mélange d’un bric-à-brac mythologique (Thésée, le Minotaure, les Titans, Zeus et sa funky family de bâtards mi-dieux mi-humains) et de scènes de batailles bling-bling. La seule logique récurrente guidant le passage d’une péripétie à la suivante est l’absence de logique. Et les ambitions de fond – concernant les protagonistes ou le propos du récit – étant inexistantes comme il se doit, le film flirte avec les idéologies rances toujours tapies à la marge des nanars, prêtes à bondir. Avant de passer à la réalisation de Tarsem et à comment elle métamorphose Les immortels, sauvons quand même une autre participation, celle de Mickey Rourke. Lui aussi se distingue d’ailleurs par sa démesure, qui apporte au rôle qu’il tient une présence renforcée. Son Hypérion, chef de guerre poussé aux pires extrémités par sa haine sans bornes et conscient de son état de damné sans retour, possède une âme comme il est donné à peu de méchants d’en avoir, même dans des films autrement plus accomplis.

Rourke secoue de l’intérieur les scènes dans lesquelles il apparaît ; mieux placé, Tarsem met sens dessus dessous l’ensemble du film depuis sa position privilégiée de metteur en scène. Ça ne suffit pas à faire des Immortels un film vraiment bon, mais même bancal il a ainsi l’avantage d’être unique. De la première image (la prison des Titans et les statues gigantesques qui l’entourent) à la dernière (la bataille qui fait rage dans le ciel entre deux armées montrées comme des essaims furieux et désordonnés), Tarsem esthétise chaque instant et chaque lieu au-delà du conventionnel, du raisonnable même. Sa motivation n’est pas le cynisme, et son but n’est pas le décalage retors et autosatisfait ; il travaille bel et bien dans le sens de l’œuvre, opérant une surenchère par rapport à sa visée épique et monumentale. Il donne concrètement vie à celle-ci via la surface plastique du film, excessive en tout : rutilante, baroque, sauvage. Il permet de la sorte aux Immortels de surfer en permanence devant la vague du ridicule, qui vient parfois lui chatouiller les chevilles mais ne monte jamais plus haut. Les amateurs de jeux vidéo trouveront au film un air de famille avec la trilogie barbare God of War, qui se base sur une recette similaire de milk-shake de l’Olympe servi frappé. Tarsem n’a pas dans son arsenal l’arme de l’interactivité pour ravir son public, mais à vrai dire il s’en fiche probablement. C’est un illuminé, qui croit si catégoriquement en la toute puissance expressive de l’image qu’il ne jure que par elle avec une soif inextinguible, une énergie démente. Si démente qu’elle ne peut déboucher que sur un processus de destruction permanente au cœur du film, qui s’effondre sur lui-même et se réagence à partir de ces ruines, pour mieux se désagréger de nouveau.

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