• Les bourreaux meurent aussi, de Fritz Lang (USA, 1943)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

À la cinémathèque, dans le cadre de la rétrospective intégrale de l’œuvre de Fritz Lang

Quand ?

Dimanche soir à 21h, juste après Espions sur la Tamise (petit film dont je dis un petit mot dans la critique qui suit)

Avec qui ?

Mon compère de cinémathèque

Et alors ?

Les bourreaux meurent aussi est le deuxième film de propagande signé par Lang durant la Seconde Guerre Mondiale après Chasse à l’homme – avec pour résultat un deuxième chef d’œuvre. La capacité hollywoodienne à s’approprier en temps réel l’actualité brûlante et écrasante (la Seconde Guerre Mondiale hier, d’autres guerres et crises aujourd’hui), et le goût de Lang pour l’observation à travers ses films des vies de ses contemporains, ne pouvaient de toute manière que s’accorder et se compléter. En 1943, deux ans ont passé depuis Chasse à l’homme et de Londres, la ligne de front du conflit s’est déplacée vers l’est ; c’est à Prague que le combat acharné contre le nazisme se mène dans Les bourreaux meurent aussi. Le Bourreau du titre est le surnom donné par la résistance tchécoslovaque à Heydrich, l’administrateur nazi du pays durant son occupation. Sa mort intervient dès le début du film – mais hors champ, et sans que nous soyons informés de cet assassinat avant une poignée de minutes supplémentaires.

Cet événement n’est en effet pas une fin en soi mais le début du drame. Dans la réalité, la réaction des nazis conduisit à la destruction de deux villes, à l’exécution de plus d’un millier de personnes et la déportation de plusieurs milliers d’autres. Les auteurs de l’assassinat furent retrouvés et se tuèrent plutôt que de se rendre. Le long-métrage de Lang est bien une œuvre de propagande dans sa minimisation de ces représailles – des morts limitées à quelques dizaines, et le tueur d’Heydrich qui échappe à la rage du Reich. Mais la distorsion de la vérité importe moins que le récit qu’en tire le cinéaste, et la manière dont il le raconte. Les bourreaux meurent aussi est un incroyable film de guerre silencieuse et clandestine entre d’un côté des forces d’occupation et de l’autre un groupe de résistants. Un modèle du genre, un joyau. L’intérêt de Lang n’est pas d’ordre introspectif, centré sur les tourments moraux et mentaux des soldats comme l’est L’armée des ombres, autre référence supérieure. Ce qui lui importe est le déroulement d’une bataille, le déploiement des stratégies qui s’affrontent, l’occupation du théâtre des opérations, l’affectation des combattants à des missions de sabotage, d’infiltration, d’extraction d’informations… Les bourreaux meurent aussi est vertigineux car, quand bien même rien de saillant ne semble se produire en surface (il n’y a quasiment aucun coup de feu échangé de tout le film), l’ampleur et l’intensité des moyens engagés sont colossales. L’affrontement s’étire sur plusieurs semaines et dans tous les recoins de la ville de Prague ; met face à face des nazis prêts à supprimer des otages par centaines s’il le faut pour forcer l’assassin à se rendre, et des insurgés n’hésitant pas à sacrifier volontairement leur vie pour le bien de la cause qu’ils défendent.

Dans ces films, Lang a toujours eu besoin d’une telle gravité dans ce qui est en jeu. Il n’est pas comme Hitchcock à pouvoir biaiser, détourner l’énergie du drame, sans rien perdre en route, vers un enjeu moins fort que la mort sous sa forme la plus abrupte. Les MacGuffin, Lang ne sait pas faire. C’est pour cela qu’Espions sur la Tamise, sa dernière contribution à l’effort de guerre (en 1944), est si quelconque et fade : Lang passe l’intégralité du film à chercher, sans résultat, un moyen de s’approprier une intrigue fondamentalement récréative, frivole, illusoire. Il met le script en images mais ne s’y retrouve pas. A l’opposé, avec son récit avançant sans filet au-dessus de l’horreur, Les bourreaux meurent aussi permet au cinéaste de donner la pleine mesure de son talent. On y assiste à une prodigieuse bataille de cerveaux, stimulante pour notre intellect et éprouvante pour nos nerfs. Lang fait des merveilles de par sa maîtrise du montage en parallèle des manœuvres de chaque camp, et du cadrage sec du découpage de celles-ci en actions individuelles et ponctuelles. Surtout, il réussit la quadrature du cercle en créant une tension permanente, pétrifiante (basée sur son refus, exactement comme dans Chasse à l’homme, du deus ex machina, de la suspension d’incrédulité ; les nazis ont l’avantage théorique et la menace qui pèse sur les résistants est donc constante) tout en assurant aux protagonistes des deux camps un caractère et un comportement crédibles. Aucun n’est un symbole, blanc ou noir, tous sont des individus se mouvant dans la zone grise entre les deux. Le meilleur exemple de ce parti pris est évidemment l’agent double Czaka, qui loin d’être méprisé par Lang a droit à une séquence – peut-être la plus marquante du film, très proche dans l’esprit de M le maudit – rappelant que comme tout homme, il a droit à notre empathie lorsqu’il se retrouve esseulé et traqué par tous.

Laisser un commentaire