• Le policier, de Nadav Lapid (Israël, 2011)

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Où ?

Au MK2 Gambetta

Quand ?

Jeudi soir, à 20h

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

A quoi pense-t-on de nos jours quand est dit le nom d’Israël ? Au conflit sans fin avec la Palestine, ou à celui avec l’Iran. Deux sujets de troubles et de dangers réels, mais également amplifiés par le pouvoir en place dans le pays afin de leur faire occuper tout l’espace des préoccupations et des informations. Et ainsi pratiquer la surexposition d’un ennemi extérieur pour occulter les problèmes internes du pays, selon une stratégie politicienne qui est l’une des choses les mieux partagées à travers le globe, tous types de régimes et couleurs de partis confondus. Ce qu’il y a à escamoter en Israël est la dérive économique et sociale du pays, vers un déséquilibre toujours plus grand des richesses et des niveaux de vie – un mouvement de contestation contre cette injustice, qui ne doit rien à personne d’autre qu’aux israéliens eux-mêmes, avait commencé à prendre corps l’été dernier. Le réalisateur Nadav Lapid fait dire à un de ses personnages qu’Israël est devenu le pays le plus inégalitaire du monde développé, ce que les études statistiques ne nient pas. Comme il est également le plus sécuritaire, la froide analyse de son cas faite par Lapid a de quoi déborder de ses frontières, et intéresser tout citoyen d’un autre pays riche : ce que Le policier observe en Israël est un reflet grossissant de nos propres tourments.

Le policier met en place un dispositif reproduisant crûment la scission que Lapid voit traverser la société israélienne, entre d’un côté le respect de l’ordre et de l’autre l’examen critique de la situation. D’un côté le policier du titre, membre de l’équivalent local du RAID, et ses proches, son épouse enceinte, sa mère, ses collègues d’unité. De l’autre une cellule révolutionnaire s’apprêtant à passer des idées radicales aux actes terroristes. Pourtant réunis sous une même nationalité et une même religion, les deux destins ne partagent à ce point plus le même espace vital qu’ils sont cloisonnés par le film, décrits l’un à la suite de l’autre sans jamais être rapprochés par l’usage classique du montage alterné. Policiers et révolutionnaires ne se croiseront que dans l’affrontement sanglant, l’assaut des premiers contre la prise d’otages effectuée par les seconds. Le champ du dialogue, du débat contradictoire a disparu de la nation telle que la filme Lapid. Il est trop tard pour ça, chaque camp a ses certitudes chevillées au corps et a agencé tous les aspects de son existence en conséquence. La tenue vestimentaire, les loisirs, le rapport au sexe et à l’amour, tout jusqu’au moindre geste ou parole est conçu pour être avant tout un signal clair d’allégeance au credo adopté. Et intégré tellement profondément que plus personne n’a les moyens de penser différemment. Les révolutionnaires restent sourds aux exhortations du père d’un d’entre eux, lui-même ancien activiste. Lors du briefing de leur offensive, les policiers n’en reviennent pas qu’il n’y ait aucun arabe parmi les cibles à neutraliser – n’en reviennent pas que leurs ennemis soient comme eux mais pensent autrement qu’eux.

Narrativement et cinématographiquement, la structure très tranchée du Policier n’est pas sans poser quelques problèmes. Elle tire le film vers le risque de la démonstration sentencieuse et dogmatique car plus Lapid passe de temps auprès de l’un ou l’autre camp et plus il répète les mêmes motifs pour en décortiquer le fonctionnement interne. La puissance intrinsèque de ceux-ci, très forte au départ (Lapid gère très bien son cadre et les silences, rendant en particulier les surgissements dans le récit des personnages frappants), s’émousse au fil du temps, et le film tourne parfois à la redite à force de travailler le même matériau. Le regard sociologique reste par contre remarquablement acéré. Lapid démontre un réel talent pour saisir l’essence des lieux habités par les protagonistes, la manière dont ces derniers les occupent, leur être au monde façonné par l’assurance d’avoir raison, dans la servilité ou bien le rejet. Un pessimisme aussi profond que ce divorce est la seule réponse que le cinéaste trouve à opposer au constat qu’il fait. Ce qui peut expliquer l’impression d’engourdissement et de surplace qui se dégage par endroits de son film, avant que ne survienne le bref choc terminal.

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